Cela se déroule loin de France, dans les faubourgs sans fin d’Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, dans ce décor si caractéristique des monarchies pétrolières du Golfe. Des routes neuves, des voitures rutilantes, des vieux bédouins, des palmiers. Une radicale modernité mâtinée de l’atmosphère intemporelle du désert. Située en bordure d’une immense avenue qui file vers les sables d’Arabie, se trouve une grande bâtisse clinquante qui aurait pu abriter une start-up de la Silicon Valley.
Ces locaux abritent le « Centre Zayed pour la coordination et le suivi », le think tank, le centre de réflexion de la Ligue arabe. Il a été fondé en 1999, sous l’égide du président des Émirats, le cheikh Zayed ben Sultan Al-Nahyan (ci-dessus). Le centre a donc une double tutelle : la Ligue arabe qui le gère et le cheikh qui le sponsorise et pourvoit à ses besoins.
Objectifs affichés du Centre : « Établir un authentique dialogue entre la culture arabe et l’Occident ». À cette fin, le centre convie des conférenciers à venir s’exprimer sur des sujets divers, le plus souvent relatifs à la politique internationale, au monde arabe ou à la question palestinienne. Il publie également des études, commande des rapports. Bref, le centre ressemble, en modèle réduit, aux grandes fondations américaines ou européennes.
Les choses commencent plutôt bien : l’ancien vice-président américain Al Gore, Jimmy Carter et James Baker sont reçus en grande pompe. Une jolie opération de publicité, à la portée de la bourse du cheikh Zayed, quand on sait que même une entreprise de confection de chaussures de sport peut parfaitement s’offrir une conférence d’un ancien président des États-Unis. Il suffit juste de débourser la somme suffisante. Or le Centre ne manque pas d’argent ni de volonté de redorer le lustre du dialogue arabo-occidental.
Rapidement, à partir des années 2000, le lustre s’obscurcit. De plus en plus, se retrouvent à Abu Dhabi des intellectuels ou des pseudo-intellectuels, sans aucune surface médiatique ni crédibilité dans leurs pays d’origines mais porteurs de théories tiers-mondistes, alternatives, propres à flatter les attentes de leurs hôtes.
Sous couvert d’anonymat, un Français, connu pour son engagement résolu – et irréprochable – en faveur d’un État palestinien, m’a raconté son expérience. Contacté par le Centre Zayed, il s’y est rendu, sans vraiment savoir où il mettait les pieds. « J’ai tout de suite vu que c’était bizarre. La salle était comble, mais pleine d’affidés du Centre. C’était très artificiel, un vernis mondain et intellectuel. Le même jour que moi, un Autrichien a donné une conférence. Un type inconnu, dirigeant un obscur centre de recherche sur la paix. Il s’est lancé dans un salmigondis vaguement tiers-mondiste et surtout très fumeux. Il disait surtout ce que les gens avaient envie d’entendre, sur l’Amérique, la Palestine, etc. »
En remerciement, le Centre lui versa quelques milliers de dollars. Une somme modique mais à sa mesure : il n’est pas Jimmy Carter.
Le Centre est la caisse de résonance de l’obsession du monde arabe pour la Palestine, au travers de laquelle, de manière presque psychopathologique, il joue la question de son identité et de son rapport au monde. À partir du 11 septembre et de la guerre en Irak, se surajoute un nouvel affect : la perception d’un choc des civilisations préjudiciables aux musulmans et le sentiment d’une agression généralisée à l’égard des Arabes. À cela une explication est trouvée, il existe un complot américano-sioniste, ou plutôt un complot des sionistes contrôlant l’Amérique.
En juillet 2002, le Centre publie une étude au titre évocateur : Étude sur le rôle des Juifs dans la mauvaise image des Arabes en Occident. Entre autres conclusions, les auteurs de l’étude en arrivent à celle-ci, qui expliquerait le dénigrement dont les Arabes feraient l’objet : « (dans tout le monde occidental) les médias imprimés sont sous la coupe des sionistes à 70 %, les médias électroniques à 80 % ». Un autre rapport s’intitule tout simplement : Est-ce qu’Israël domine le monde ?
Le 9 avril 2003, à l’occasion d’une conférence, un universitaire saoudien, le professeur Umayma Jalahma, explique que la date de la guerre américaine en Irak avait été prévue pour coïncider avec la fête juive de Pourim, le peuple irakien faisant office de victime sacrificielle pour assouvir les besoins sanguinaires des Juifs. Dans la bouche du professeur, la supposée coïncidence des dates était censée démontrer que l’armée américaine était téléguidée par ses vrais maîtres, les Juifs.
Tout autant loufoque, un journaliste américain d’extrême droite, Michael Collins Piper, vient défendre la thèse selon laquelle Kennedy a été assassiné par le Mossad. Il raconte aussi que l’affaire Lewinsky, Monica étant d’origine juive, est une opération des sionistes pour faire pression sur Bill Clinton. Piper ajoute que l’Amérique est dominée par les riches familles juives, lesquelles contrôlent les médias.
Moins loufoque mais plus venimeux encore, le Centre célèbre les négationnistes David Irving et Roger Garaudy, ainsi que Jörg Haider et l’ancien chancelier autrichien Kurt Waldheim dans une brochure en arabe intitulée Ceux qui ont défié Israël.
Le Centre a ses antennes par-delà le désert, à l’affût des débats et des soubresauts qui agitent les sociétés européennes. Voilà deux ans, le député allemand Jurgen Mölleman fait scandale en comparant Israël au nazisme et en accusant les Juifs d’exercer un chantage sur l’Allemagne en perpétuant la mémoire de l’Holocauste. Alors qu’il se voit exclu du FDP, son parti, le Centre Zayed, lui, s’empresse de l’inviter. Quelques jours de détente au soleil, un auditoire acquis et un petit viatique : Mölleman s’en trouva sûrement revigoré avant de revenir dans la Vieille Europe.
Le 16 mai 2003, ajoutant la médecine à son champ de compétences, le Centre publie un rapport intitulé : Le virus du SRAS, la terreur qui vient d’Orient. Il y est dit que ce virus, dont on parla beaucoup, serait l’arme d’une « guerre biologique américaine lancée contre la Chine, dans le but d’affaiblir économiquement ce pays » ou même « le résultat d’une guerre américaine contre le monde ».
Soucieux de promouvoir sa découverte, le Centre ne s’arrête pas en si bon chemin. Au mois de mai, pas de moins de deux conférenciers défendent la thèse du complot biologique américain. L’un deux, Yussuf Abdullah Al-Zamel, professeur d’université saoudien, va même un peu plus loin : « La maladie [le SRAS] pourrait coïncider avec la guerre contre l’Irak (…) Il est probable qu’elle résulte d’expériences militaires aux objectifs ambigus ».
On pourrait mul
tiplier les exemples mais ceux-ci donnent un aperçu éclairant de la philosophie du Centre Zayed : la dénonciation du complot américano-sioniste pour dominer le monde et détruire l’islam. Au service de cette cause, le Centre approche, au gré de ses besoins, les personnes aptes à servir ses thèses.
Dès lors, on ne s’étonnera pas vraiment que le Centre se soit pris de passion pour Thierry Meyssan. Parler de passion n’est pas trop fort, tant il a offert un traitement de faveur au Français.
Pour commencer, le 8 avril 2002, le Centre l’invite à une conférence fortement médiatisée. Meyssan y martèle ses graves accusations, à savoir « que les attentats du 11 septembre ne sont pas imputables à des terroristes étrangers issus du monde arabo-musulman mais à des terroristes américains ». Il se fend d’une précision qu’il réserve à ses hôtes, puisqu’il n’en a pas encore parlé : l’arme qui a frappé le Pentagone pourrait être « un missile de la dernière génération du type AGM, muni d’une charge creuse et d’une pointe en uranium appauvri de type BLU, guidé par GPS ».
Admirable sens du détail.
Le Centre Zayed n’en reste pas là : il fait traduire L’Effroyable imposture en arabe. À ses frais. Pour finir, il envoie 5 000 exemplaires du livre à des leaders d’opinion du monde arabe, directeurs de journaux, journalistes, responsables politiques, syndicalistes, religieux. On ne pourrait rêver meilleur service de presse.
Sans conteste, le Centre Zayed a lancé Meyssan dans le monde arabe. Il a aussi fortement contribué au considérable écho que ses thèses y ont rencontré : un immense succès de librairie et une couverture médiatique considérable. L’islamologue Gilles Kepel raconte que, de Rabat au golfe Persique, Thierry Meyssan est devenu le Français le plus connu après Charles de Gaulle et Jacques Chirac.
Tout aurait pu continuer dans le meilleur des mondes si des étudiants de Harvard n’avaient pas été trop curieux. En 2003, le cheikh Zayed fait un don à la prestigieuse université, dans le but de créer une chaire d’études islamiques portant son nom. Des étudiants s’avisent de se renseigner sur ce généreux cheikh et découvrent l’étrange centre qui portait son nom. Ils alertent les puissantes organisations antiracistes américaines, lesquelles sauront se faire entendre auprès du département d’État .
Dans un dernier baroud d’honneur, le Centre s’est offert un encart publicitaire en première page du journal Le Monde, en juillet 2003, espérant peut-être de cette façon s’offrir une nouvelle vertu. Cela n’a pas suffi.
Le don du cheikh Zayed à Harvard a été refusé et, à la fin de l’été 2003, sans tapage, le Centre a soudainement cessé ses activités. Dans le même temps, son site Internet a été fermé.
Le petit émirat, soucieux de ses bonnes relations avec Washington, a en effet cédé aux pressions américaines, suscitant une campagne de presse, une pétition et les protestations véhémentes de la Ligue arabe. Son secrétaire général, Amr Moussa, a dénoncé « une campagne de diffamation israélienne anti-arabe » et a osé soutenir que le Centre œuvrait pour « l’échange d’opinions et d’idées favorables à la paix, à la stabilité, contre l’extrémisme et la violence dans le monde ». Pour ce qui est de l’échange d’opinions, on ne le contredira pas.
Le directeur du Centre Zayed, Mohammed Khalifa Al-Murar, a échappé aux affres du chômage : il a été nommé chef de la communication du royaume. En attendant peut-être de reprendre du service car, une chose est sûre, le Centre rouvrira, aux Émirats ou ailleurs. Du reste, ses locaux émirati sont toujours là, qui attendent et ne demandent qu’à être remis en service.
Peu après la fermeture du Centre, j’ai rencontré à Paris l’ambassadeur de la Ligue arabe pour avoir son sentiment sur l’affaire. Je le rappelle, la Ligue arabe est l’autorité de tutelle du Centre. Cette entrevue s’est révélée presque aussi saisissante que les activités du Centre Zayed elles-mêmes.
Nassif Hatti est loin d’être un de ces imposteurs que l’on rencontrait à Abu Dhabi. C’est un intellectuel, un vrai, professeur d’université en sciences politiques, ami d’un de mes anciens maîtres et subtil expert de la politique américaine, Ghassan Salamé. Malgré cela, l’ambassadeur n’en continue pas moins à défendre le Centre et à condamner sévèrement sa fermeture.
Sa position est claire. Face à la puissance de feu de l’information américaine, il faut promouvoir une contre information arabe. Le Centre Zayed en était le moyen. Au surplus, selon Nassif Hatti, la liberté d’expression est un principe intangible et fermer le Centre en est une violation scandaleuse. Pas une fois, il ne conviendra que le Centre véhiculait des mensonges et des outrances intolérables. Entendons-nous : il le savait pertinemment, mais une certaine realpolitik, le menait à soutenir mordicus le Centre, comme une arme face à la propagande américaine.
Argumentation plus politique que morale qui illustre l’impasse dans laquelle les élites arabes sont tombées. En Égypte, j’ai vu des gens brillants, des éditorialistes cultivés soutenir les plus insanes contrevérités. C’est là un nœud inextricable de la théorie du complot, un vrai cercle vicieux qui peut s’énoncer ainsi : le sentiment de la dangerosité et la malveillance de l’ennemi américano-sioniste sont tels que tout discours mettant en cause ce dernier est légitime. Qu’il soit fondé ou pas. Ainsi la théorie du complot s’auto-entretient, puisque la dangerosité de l’adversaire est elle-même le plus souvent cousue des fils du fantasme et du mensonge.
Il y a autre chose. Chez Nassif Hatti, on sent une souffrance non feinte, le sentiment que le monde arabo-musulman est assiégé de toute part, en régression, détesté, incompris, impuissant, failli. On sent chez lui le profond malaise qui saisit nombre d’intellectuels arabes meurtris dans leur identité, on sent la souffrance née du sentiment de grandes injustices faites aux Arabes, la première d’entre elles étant le soutien indéfectible que l’Amérique apporterait à Israël, en une politique de deux poids deux mesures. Cette souffrance explique sans doute bien des erreurs de jugement et la défense insensée d’un think tank obscurantiste.
Ce Français, dont je rapporte plus haut le témoignage, m’a relaté un autre épisode de son passage au Centre Zayed : « Quand je suis arrivé à l’aéroport, aux Émirats, le directeur du Centre est venu m’accueillir. Au bout de quelques minutes à peine, il m’a parlé de Lyndon LaRouche, m’a
demandé si je le connaissais, ce que j’en pensais et il s’est lancé dans un éloge interminable de LaRouche ».
Effectivement, de la même manière que dans de très nombreux cénacles arabes, universitaires ou médiatiques, LaRouche est une référence du Centre Zayed. Non seulement il y a donné des conférences, comme sa femme Helga et Jacques Cheminade, son homme de confiance en France, mais sa pensée conspirationniste se retrouve au fil des rapports et des études produites par le think tank : le tableau d’une Amérique vouée à asservir le monde et dominée par le sionisme, la finance, la franc-maçonnerie anglo-saxonne, y est omniprésent. En hommage à la pensée du maître, le Centre a publié un de ses livres : A Lecture On The World Economy.
Il ne faut pas négliger les effets de ces liaisons dangereuses. Quand on sait la véhémence avec laquelle LaRouche dénonce une supposée conspiration mondiale de la franc-maçonnerie anglo-saxonne, laquelle serait à l’origine de tous les maux, depuis le colonialisme, la création d’Israël, jusqu’au capitalisme sauvage d’aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de penser à ce communiqué des terroristes d’Al-Qaeda, parlant de cibles maçonniques pour désigner le consulat d’Angleterre en Turquie.
Certes, il n’y a pas entre ceux-ci et le Centre Zayed une influence directe ou palpable. Certes, depuis fort longtemps, les maçons sont une cible de choix des radicaux musulmans au nom de ce qu’ils seraient les agents d’influence des Juifs, mais les membres de la mouvance islamiste radicale baignent dans le même terreau culturel que le Centre Zayed, ils lisent des éditorialistes eux-mêmes nourris de la « pensée Zayed » ou de pensées similaires. Rien ne serait plus dangereux que d’imaginer les islamistes radicaux comme des sauvages coupés du monde. Ayman Al-Zawahiri, idéologue d’Al-Qaeda, est un médecin de la classe moyenne égyptienne, Ben Laden a fait de bonnes études et a voyagé en Occident, Mohammed Atta, le chef du commando du 11 septembre, a fait ses études à Hambourg. Quant aux Atta de demain, à n’en pas douter, ils lisent, s’informent et écoutent ce qui se dit autour d’eux.
À leur modeste mesure, le Centre Zayed et son cortège d’idéologues dévoyés ont apporté leur obole aux idées terroristes. Leur offrant le gîte et le couvert, le Centre leur sert de base arrière logistique.
Il faut dire que ces idéologues ne sont pas toujours regardants quant à la bonne moralité de leurs mécènes. Mieux, certains sont prêts à se compromettre avec des dictatures bien pires que l’Ogre américano-sioniste qu’ils combattent.
Dès après le 11 septembre, ils ont su trouver dans un pays en particulier des oreilles attentives : la république islamique d’Iran, patrie des mollahs et de feu l’ayatollah Khomeyni.
C’est dans plusieurs médias de ce pays que LaRouche s’est montré le plus prolixe. Interviewé par la radio Voice of Islamic Republic of Iran, il a même livré les noms des responsables des attentats : le sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, l’ancien conseiller à la Sécurité Zbigniew Brzezinski, le politologue Samuel Huntington et Henry Kissinger et expliqué qu’ils intriguaient en vue d’une guerre contre les musulmans, ajoutant qu’Israël occuperait un rôle-clef dans cette guerre américaine contre l’islam .
Évidemment les journaux iraniens, à la botte du régime, se sont empressés de diffuser ou de publier les interviews de LaRouche, qui confortaient si bien les vues du régime et sa propagande paranoïaques, qui, comme dans toutes les dictatures, ne visent qu’à une seule chose : souder la population et régner par la peur.
Il n’y a pas que LaRouche.
L’Effroyable imposture, le livre de Meyssan, a été traduit et imprimé en persan par le gouvernement iranien. Je n’ai pas eu à chercher bien loin cette information, c’est Meyssan lui-même qui s’en est vanté devant moi.
En ayant tant d’égards pour le fondateur du « Réseau Voltaire pour la liberté d’expression » et si peu pour la journaliste Zahra Kazemi, qu’il laissa assassiner dans un cul-de-basse-fosse voilà peu, ou, il y a plus longtemps, pour l’écrivain Salman Rushdie, le gouvernement iranien a une conception de la liberté d’expression des plus sélectives. Une habitude quand on sait que ce gouvernement distribue les livres négationnistes de Roger Garaudy ou de Robert Faurisson.
Après avoir soutenu le négationnisme classique, l’Iran voit poindre un nouveau créneau avec le « négationnisme en temps réel ».
Pour nombre de conspirationnistes, le monde arabo-musulman joue le rôle d’une base arrière, pourvoyeuse de ravitaillement avant de monter au front occidental. Le soutien au négationnisme, paroxysme de la théorie du complot, en est une illustration frappante. Le cas de Roger Garaudy en témoigne. En 1996, celui-ci publie Les Mythes fondateurs de la politique israélienne (voir ci-dessus), véritables Protocoles des Sages de Sion modernes, accusant, en autres, Israël de véhiculer le mythe de la Shoah pour servir ses intérêts.
Poursuivi par la justice pour « contestation de crimes contre l’humanité » et « incitation à la haine raciale », il est alors reçu en grande pompe aux Émirats arabes unis, en Égypte, en Iran, en Jordanie et décoré par le ministre égyptien de la Culture. Des campagnes de presse, notamment celle du quotidien émirati Al-Khaleej, lui rapportent 100 000 dollars. La femme de Zayed Ben Sultan, émir d’Abu Dhabi et fondateur du Centre Zayed, lui alloue 50 000 dollars.
Garaudy est finalement condamné et le tribunal lui inflige une amende de 120 000 francs. Peu lui chaut. À ce moment, il a gagné pas moins de 150 000 dollars, grâce aux seuls Émirats arabes unis. De quoi amplement payer l’amende et s’offrir de beaux voyages à travers le monde.
Il y a une certaine ironie à cela lorsque l’on sait que, dans son opuscule, Garaudy dénonce l’existence d’un « Shoah Business ». Il semble lui, avoir découvert les vertus du « Complot Business ».
Même si des voix discordantes d’intellectuels arabes se sont fait entendre, sauvant l’honneur, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne sont devenus un best-seller dans le monde arabo-musulman. Et
pas seulement.
Au printemps 2004, j’ai pu voir le livre exposé dans la vitrine d’une librairie islamiste de la rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris. Juste à côté, sur un présentoir, se trouvait L’Effroyable imposture, d’un certain Thierry Meyssan.
La carrière de Garaudy ne s’est pas arrêtée là, loin s’en faut. Sentant le vent de l’Histoire souffler un air nouveau, Garaudy a récemment publié Le terrorisme occidental, aux éditions parisiennes Al-Qalam.
Idée centrale du livre : le terrorisme islamique est une invention de l’Amérique pour justifier son hégémonie et masquer le véritable terrorisme, celui de l’Occident.
Voir aussi :
* Lyndon LaRouche ou la théorie du complot comme clé d'explication du monde
* Thierry Meyssan sur Conspiracy Watch
Cela se déroule loin de France, dans les faubourgs sans fin d’Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, dans ce décor si caractéristique des monarchies pétrolières du Golfe. Des routes neuves, des voitures rutilantes, des vieux bédouins, des palmiers. Une radicale modernité mâtinée de l’atmosphère intemporelle du désert. Située en bordure d’une immense avenue qui file vers les sables d’Arabie, se trouve une grande bâtisse clinquante qui aurait pu abriter une start-up de la Silicon Valley.
Ces locaux abritent le « Centre Zayed pour la coordination et le suivi », le think tank, le centre de réflexion de la Ligue arabe. Il a été fondé en 1999, sous l’égide du président des Émirats, le cheikh Zayed ben Sultan Al-Nahyan (ci-dessus). Le centre a donc une double tutelle : la Ligue arabe qui le gère et le cheikh qui le sponsorise et pourvoit à ses besoins.
Objectifs affichés du Centre : « Établir un authentique dialogue entre la culture arabe et l’Occident ». À cette fin, le centre convie des conférenciers à venir s’exprimer sur des sujets divers, le plus souvent relatifs à la politique internationale, au monde arabe ou à la question palestinienne. Il publie également des études, commande des rapports. Bref, le centre ressemble, en modèle réduit, aux grandes fondations américaines ou européennes.
Les choses commencent plutôt bien : l’ancien vice-président américain Al Gore, Jimmy Carter et James Baker sont reçus en grande pompe. Une jolie opération de publicité, à la portée de la bourse du cheikh Zayed, quand on sait que même une entreprise de confection de chaussures de sport peut parfaitement s’offrir une conférence d’un ancien président des États-Unis. Il suffit juste de débourser la somme suffisante. Or le Centre ne manque pas d’argent ni de volonté de redorer le lustre du dialogue arabo-occidental.
Rapidement, à partir des années 2000, le lustre s’obscurcit. De plus en plus, se retrouvent à Abu Dhabi des intellectuels ou des pseudo-intellectuels, sans aucune surface médiatique ni crédibilité dans leurs pays d’origines mais porteurs de théories tiers-mondistes, alternatives, propres à flatter les attentes de leurs hôtes.
Sous couvert d’anonymat, un Français, connu pour son engagement résolu – et irréprochable – en faveur d’un État palestinien, m’a raconté son expérience. Contacté par le Centre Zayed, il s’y est rendu, sans vraiment savoir où il mettait les pieds. « J’ai tout de suite vu que c’était bizarre. La salle était comble, mais pleine d’affidés du Centre. C’était très artificiel, un vernis mondain et intellectuel. Le même jour que moi, un Autrichien a donné une conférence. Un type inconnu, dirigeant un obscur centre de recherche sur la paix. Il s’est lancé dans un salmigondis vaguement tiers-mondiste et surtout très fumeux. Il disait surtout ce que les gens avaient envie d’entendre, sur l’Amérique, la Palestine, etc. »
En remerciement, le Centre lui versa quelques milliers de dollars. Une somme modique mais à sa mesure : il n’est pas Jimmy Carter.
Le Centre est la caisse de résonance de l’obsession du monde arabe pour la Palestine, au travers de laquelle, de manière presque psychopathologique, il joue la question de son identité et de son rapport au monde. À partir du 11 septembre et de la guerre en Irak, se surajoute un nouvel affect : la perception d’un choc des civilisations préjudiciables aux musulmans et le sentiment d’une agression généralisée à l’égard des Arabes. À cela une explication est trouvée, il existe un complot américano-sioniste, ou plutôt un complot des sionistes contrôlant l’Amérique.
En juillet 2002, le Centre publie une étude au titre évocateur : Étude sur le rôle des Juifs dans la mauvaise image des Arabes en Occident. Entre autres conclusions, les auteurs de l’étude en arrivent à celle-ci, qui expliquerait le dénigrement dont les Arabes feraient l’objet : « (dans tout le monde occidental) les médias imprimés sont sous la coupe des sionistes à 70 %, les médias électroniques à 80 % ». Un autre rapport s’intitule tout simplement : Est-ce qu’Israël domine le monde ?
Le 9 avril 2003, à l’occasion d’une conférence, un universitaire saoudien, le professeur Umayma Jalahma, explique que la date de la guerre américaine en Irak avait été prévue pour coïncider avec la fête juive de Pourim, le peuple irakien faisant office de victime sacrificielle pour assouvir les besoins sanguinaires des Juifs. Dans la bouche du professeur, la supposée coïncidence des dates était censée démontrer que l’armée américaine était téléguidée par ses vrais maîtres, les Juifs.
Tout autant loufoque, un journaliste américain d’extrême droite, Michael Collins Piper, vient défendre la thèse selon laquelle Kennedy a été assassiné par le Mossad. Il raconte aussi que l’affaire Lewinsky, Monica étant d’origine juive, est une opération des sionistes pour faire pression sur Bill Clinton. Piper ajoute que l’Amérique est dominée par les riches familles juives, lesquelles contrôlent les médias.
Moins loufoque mais plus venimeux encore, le Centre célèbre les négationnistes David Irving et Roger Garaudy, ainsi que Jörg Haider et l’ancien chancelier autrichien Kurt Waldheim dans une brochure en arabe intitulée Ceux qui ont défié Israël.
Le Centre a ses antennes par-delà le désert, à l’affût des débats et des soubresauts qui agitent les sociétés européennes. Voilà deux ans, le député allemand Jurgen Mölleman fait scandale en comparant Israël au nazisme et en accusant les Juifs d’exercer un chantage sur l’Allemagne en perpétuant la mémoire de l’Holocauste. Alors qu’il se voit exclu du FDP, son parti, le Centre Zayed, lui, s’empresse de l’inviter. Quelques jours de détente au soleil, un auditoire acquis et un petit viatique : Mölleman s’en trouva sûrement revigoré avant de revenir dans la Vieille Europe.
Le 16 mai 2003, ajoutant la médecine à son champ de compétences, le Centre publie un rapport intitulé : Le virus du SRAS, la terreur qui vient d’Orient. Il y est dit que ce virus, dont on parla beaucoup, serait l’arme d’une « guerre biologique américaine lancée contre la Chine, dans le but d’affaiblir économiquement ce pays » ou même « le résultat d’une guerre américaine contre le monde ».
Soucieux de promouvoir sa découverte, le Centre ne s’arrête pas en si bon chemin. Au mois de mai, pas de moins de deux conférenciers défendent la thèse du complot biologique américain. L’un deux, Yussuf Abdullah Al-Zamel, professeur d’université saoudien, va même un peu plus loin : « La maladie [le SRAS] pourrait coïncider avec la guerre contre l’Irak (…) Il est probable qu’elle résulte d’expériences militaires aux objectifs ambigus ».
On pourrait mul
tiplier les exemples mais ceux-ci donnent un aperçu éclairant de la philosophie du Centre Zayed : la dénonciation du complot américano-sioniste pour dominer le monde et détruire l’islam. Au service de cette cause, le Centre approche, au gré de ses besoins, les personnes aptes à servir ses thèses.
Dès lors, on ne s’étonnera pas vraiment que le Centre se soit pris de passion pour Thierry Meyssan. Parler de passion n’est pas trop fort, tant il a offert un traitement de faveur au Français.
Pour commencer, le 8 avril 2002, le Centre l’invite à une conférence fortement médiatisée. Meyssan y martèle ses graves accusations, à savoir « que les attentats du 11 septembre ne sont pas imputables à des terroristes étrangers issus du monde arabo-musulman mais à des terroristes américains ». Il se fend d’une précision qu’il réserve à ses hôtes, puisqu’il n’en a pas encore parlé : l’arme qui a frappé le Pentagone pourrait être « un missile de la dernière génération du type AGM, muni d’une charge creuse et d’une pointe en uranium appauvri de type BLU, guidé par GPS ».
Admirable sens du détail.
Le Centre Zayed n’en reste pas là : il fait traduire L’Effroyable imposture en arabe. À ses frais. Pour finir, il envoie 5 000 exemplaires du livre à des leaders d’opinion du monde arabe, directeurs de journaux, journalistes, responsables politiques, syndicalistes, religieux. On ne pourrait rêver meilleur service de presse.
Sans conteste, le Centre Zayed a lancé Meyssan dans le monde arabe. Il a aussi fortement contribué au considérable écho que ses thèses y ont rencontré : un immense succès de librairie et une couverture médiatique considérable. L’islamologue Gilles Kepel raconte que, de Rabat au golfe Persique, Thierry Meyssan est devenu le Français le plus connu après Charles de Gaulle et Jacques Chirac.
Tout aurait pu continuer dans le meilleur des mondes si des étudiants de Harvard n’avaient pas été trop curieux. En 2003, le cheikh Zayed fait un don à la prestigieuse université, dans le but de créer une chaire d’études islamiques portant son nom. Des étudiants s’avisent de se renseigner sur ce généreux cheikh et découvrent l’étrange centre qui portait son nom. Ils alertent les puissantes organisations antiracistes américaines, lesquelles sauront se faire entendre auprès du département d’État .
Dans un dernier baroud d’honneur, le Centre s’est offert un encart publicitaire en première page du journal Le Monde, en juillet 2003, espérant peut-être de cette façon s’offrir une nouvelle vertu. Cela n’a pas suffi.
Le don du cheikh Zayed à Harvard a été refusé et, à la fin de l’été 2003, sans tapage, le Centre a soudainement cessé ses activités. Dans le même temps, son site Internet a été fermé.
Le petit émirat, soucieux de ses bonnes relations avec Washington, a en effet cédé aux pressions américaines, suscitant une campagne de presse, une pétition et les protestations véhémentes de la Ligue arabe. Son secrétaire général, Amr Moussa, a dénoncé « une campagne de diffamation israélienne anti-arabe » et a osé soutenir que le Centre œuvrait pour « l’échange d’opinions et d’idées favorables à la paix, à la stabilité, contre l’extrémisme et la violence dans le monde ». Pour ce qui est de l’échange d’opinions, on ne le contredira pas.
Le directeur du Centre Zayed, Mohammed Khalifa Al-Murar, a échappé aux affres du chômage : il a été nommé chef de la communication du royaume. En attendant peut-être de reprendre du service car, une chose est sûre, le Centre rouvrira, aux Émirats ou ailleurs. Du reste, ses locaux émirati sont toujours là, qui attendent et ne demandent qu’à être remis en service.
Peu après la fermeture du Centre, j’ai rencontré à Paris l’ambassadeur de la Ligue arabe pour avoir son sentiment sur l’affaire. Je le rappelle, la Ligue arabe est l’autorité de tutelle du Centre. Cette entrevue s’est révélée presque aussi saisissante que les activités du Centre Zayed elles-mêmes.
Nassif Hatti est loin d’être un de ces imposteurs que l’on rencontrait à Abu Dhabi. C’est un intellectuel, un vrai, professeur d’université en sciences politiques, ami d’un de mes anciens maîtres et subtil expert de la politique américaine, Ghassan Salamé. Malgré cela, l’ambassadeur n’en continue pas moins à défendre le Centre et à condamner sévèrement sa fermeture.
Sa position est claire. Face à la puissance de feu de l’information américaine, il faut promouvoir une contre information arabe. Le Centre Zayed en était le moyen. Au surplus, selon Nassif Hatti, la liberté d’expression est un principe intangible et fermer le Centre en est une violation scandaleuse. Pas une fois, il ne conviendra que le Centre véhiculait des mensonges et des outrances intolérables. Entendons-nous : il le savait pertinemment, mais une certaine realpolitik, le menait à soutenir mordicus le Centre, comme une arme face à la propagande américaine.
Argumentation plus politique que morale qui illustre l’impasse dans laquelle les élites arabes sont tombées. En Égypte, j’ai vu des gens brillants, des éditorialistes cultivés soutenir les plus insanes contrevérités. C’est là un nœud inextricable de la théorie du complot, un vrai cercle vicieux qui peut s’énoncer ainsi : le sentiment de la dangerosité et la malveillance de l’ennemi américano-sioniste sont tels que tout discours mettant en cause ce dernier est légitime. Qu’il soit fondé ou pas. Ainsi la théorie du complot s’auto-entretient, puisque la dangerosité de l’adversaire est elle-même le plus souvent cousue des fils du fantasme et du mensonge.
Il y a autre chose. Chez Nassif Hatti, on sent une souffrance non feinte, le sentiment que le monde arabo-musulman est assiégé de toute part, en régression, détesté, incompris, impuissant, failli. On sent chez lui le profond malaise qui saisit nombre d’intellectuels arabes meurtris dans leur identité, on sent la souffrance née du sentiment de grandes injustices faites aux Arabes, la première d’entre elles étant le soutien indéfectible que l’Amérique apporterait à Israël, en une politique de deux poids deux mesures. Cette souffrance explique sans doute bien des erreurs de jugement et la défense insensée d’un think tank obscurantiste.
Ce Français, dont je rapporte plus haut le témoignage, m’a relaté un autre épisode de son passage au Centre Zayed : « Quand je suis arrivé à l’aéroport, aux Émirats, le directeur du Centre est venu m’accueillir. Au bout de quelques minutes à peine, il m’a parlé de Lyndon LaRouche, m’a
demandé si je le connaissais, ce que j’en pensais et il s’est lancé dans un éloge interminable de LaRouche ».
Effectivement, de la même manière que dans de très nombreux cénacles arabes, universitaires ou médiatiques, LaRouche est une référence du Centre Zayed. Non seulement il y a donné des conférences, comme sa femme Helga et Jacques Cheminade, son homme de confiance en France, mais sa pensée conspirationniste se retrouve au fil des rapports et des études produites par le think tank : le tableau d’une Amérique vouée à asservir le monde et dominée par le sionisme, la finance, la franc-maçonnerie anglo-saxonne, y est omniprésent. En hommage à la pensée du maître, le Centre a publié un de ses livres : A Lecture On The World Economy.
Il ne faut pas négliger les effets de ces liaisons dangereuses. Quand on sait la véhémence avec laquelle LaRouche dénonce une supposée conspiration mondiale de la franc-maçonnerie anglo-saxonne, laquelle serait à l’origine de tous les maux, depuis le colonialisme, la création d’Israël, jusqu’au capitalisme sauvage d’aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de penser à ce communiqué des terroristes d’Al-Qaeda, parlant de cibles maçonniques pour désigner le consulat d’Angleterre en Turquie.
Certes, il n’y a pas entre ceux-ci et le Centre Zayed une influence directe ou palpable. Certes, depuis fort longtemps, les maçons sont une cible de choix des radicaux musulmans au nom de ce qu’ils seraient les agents d’influence des Juifs, mais les membres de la mouvance islamiste radicale baignent dans le même terreau culturel que le Centre Zayed, ils lisent des éditorialistes eux-mêmes nourris de la « pensée Zayed » ou de pensées similaires. Rien ne serait plus dangereux que d’imaginer les islamistes radicaux comme des sauvages coupés du monde. Ayman Al-Zawahiri, idéologue d’Al-Qaeda, est un médecin de la classe moyenne égyptienne, Ben Laden a fait de bonnes études et a voyagé en Occident, Mohammed Atta, le chef du commando du 11 septembre, a fait ses études à Hambourg. Quant aux Atta de demain, à n’en pas douter, ils lisent, s’informent et écoutent ce qui se dit autour d’eux.
À leur modeste mesure, le Centre Zayed et son cortège d’idéologues dévoyés ont apporté leur obole aux idées terroristes. Leur offrant le gîte et le couvert, le Centre leur sert de base arrière logistique.
Il faut dire que ces idéologues ne sont pas toujours regardants quant à la bonne moralité de leurs mécènes. Mieux, certains sont prêts à se compromettre avec des dictatures bien pires que l’Ogre américano-sioniste qu’ils combattent.
Dès après le 11 septembre, ils ont su trouver dans un pays en particulier des oreilles attentives : la république islamique d’Iran, patrie des mollahs et de feu l’ayatollah Khomeyni.
C’est dans plusieurs médias de ce pays que LaRouche s’est montré le plus prolixe. Interviewé par la radio Voice of Islamic Republic of Iran, il a même livré les noms des responsables des attentats : le sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, l’ancien conseiller à la Sécurité Zbigniew Brzezinski, le politologue Samuel Huntington et Henry Kissinger et expliqué qu’ils intriguaient en vue d’une guerre contre les musulmans, ajoutant qu’Israël occuperait un rôle-clef dans cette guerre américaine contre l’islam .
Évidemment les journaux iraniens, à la botte du régime, se sont empressés de diffuser ou de publier les interviews de LaRouche, qui confortaient si bien les vues du régime et sa propagande paranoïaques, qui, comme dans toutes les dictatures, ne visent qu’à une seule chose : souder la population et régner par la peur.
Il n’y a pas que LaRouche.
L’Effroyable imposture, le livre de Meyssan, a été traduit et imprimé en persan par le gouvernement iranien. Je n’ai pas eu à chercher bien loin cette information, c’est Meyssan lui-même qui s’en est vanté devant moi.
En ayant tant d’égards pour le fondateur du « Réseau Voltaire pour la liberté d’expression » et si peu pour la journaliste Zahra Kazemi, qu’il laissa assassiner dans un cul-de-basse-fosse voilà peu, ou, il y a plus longtemps, pour l’écrivain Salman Rushdie, le gouvernement iranien a une conception de la liberté d’expression des plus sélectives. Une habitude quand on sait que ce gouvernement distribue les livres négationnistes de Roger Garaudy ou de Robert Faurisson.
Après avoir soutenu le négationnisme classique, l’Iran voit poindre un nouveau créneau avec le « négationnisme en temps réel ».
Pour nombre de conspirationnistes, le monde arabo-musulman joue le rôle d’une base arrière, pourvoyeuse de ravitaillement avant de monter au front occidental. Le soutien au négationnisme, paroxysme de la théorie du complot, en est une illustration frappante. Le cas de Roger Garaudy en témoigne. En 1996, celui-ci publie Les Mythes fondateurs de la politique israélienne (voir ci-dessus), véritables Protocoles des Sages de Sion modernes, accusant, en autres, Israël de véhiculer le mythe de la Shoah pour servir ses intérêts.
Poursuivi par la justice pour « contestation de crimes contre l’humanité » et « incitation à la haine raciale », il est alors reçu en grande pompe aux Émirats arabes unis, en Égypte, en Iran, en Jordanie et décoré par le ministre égyptien de la Culture. Des campagnes de presse, notamment celle du quotidien émirati Al-Khaleej, lui rapportent 100 000 dollars. La femme de Zayed Ben Sultan, émir d’Abu Dhabi et fondateur du Centre Zayed, lui alloue 50 000 dollars.
Garaudy est finalement condamné et le tribunal lui inflige une amende de 120 000 francs. Peu lui chaut. À ce moment, il a gagné pas moins de 150 000 dollars, grâce aux seuls Émirats arabes unis. De quoi amplement payer l’amende et s’offrir de beaux voyages à travers le monde.
Il y a une certaine ironie à cela lorsque l’on sait que, dans son opuscule, Garaudy dénonce l’existence d’un « Shoah Business ». Il semble lui, avoir découvert les vertus du « Complot Business ».
Même si des voix discordantes d’intellectuels arabes se sont fait entendre, sauvant l’honneur, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne sont devenus un best-seller dans le monde arabo-musulman. Et
pas seulement.
Au printemps 2004, j’ai pu voir le livre exposé dans la vitrine d’une librairie islamiste de la rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris. Juste à côté, sur un présentoir, se trouvait L’Effroyable imposture, d’un certain Thierry Meyssan.
La carrière de Garaudy ne s’est pas arrêtée là, loin s’en faut. Sentant le vent de l’Histoire souffler un air nouveau, Garaudy a récemment publié Le terrorisme occidental, aux éditions parisiennes Al-Qalam.
Idée centrale du livre : le terrorisme islamique est une invention de l’Amérique pour justifier son hégémonie et masquer le véritable terrorisme, celui de l’Occident.
Voir aussi :
* Lyndon LaRouche ou la théorie du complot comme clé d'explication du monde
* Thierry Meyssan sur Conspiracy Watch
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