Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme

Refuser de débattre avec les conspirationnistes renforce-t-il le conspirationnisme ?

Publié par Rudy Reichstadt01 mars 2016,

Pour prouver aux complotistes qu'ils ont tort, pour leur montrer qu'ils ne sont pas des martyrs de la liberté d'expression, faudra-t-il, demain, se résoudre à organiser des débats publics opposant évolutionnistes et créationnistes ?*

Frédéric Taddéi et Dieudonné M'Bala M'Bala sur le plateau de l'émission "Ce soir (ou jamais !)" (France 3, 30 novembre 2006).

Samedi 27 février, Alain Finkielkraut recevait dans Répliques (France Culture) Anastasia Colosimo, auteure des Bûchers de la liberté (Stock, 2016). Vers la fin de l'émission, consacrée au blasphème et à la question du sacré, la discussion en vint à la loi Gayssot réprimant les propos négationnistes et à la question connexe de la paranoïa complotiste.

Anastasia Colosimo n'est pas dupe du procès en « deux poids, deux mesures » intenté à la loi Gayssot qui transparaît au travers de l'argument rhétorique bien connu selon lequel on aurait le droit de caricaturer le Prophète de l'islam mais pas de nier l'extermination des Juifs. Sans aucune équivoque, elle estime que l'on ne peut pas mettre sur le même plan une « vérité » révélée et une vérité historique. Une fois rappelée cette distinction essentielle, elle s'inquiète toutefois des effets pervers de ces « lois mémorielles » qui limitent la liberté d'expression au nom du respect dû à la vérité historique :

« S'il n'y a pas de "deux poids deux mesures" dans la loi [Gayssot], cette loi donne un sentiment de "deux poids deux mesures" ; [de sorte qu'elle] contribue à la folie complotiste de personnages comme Dieudonné et Soral [qui] retirent de tout cela une vraie figure de martyrs ».

L'interdiction des propos négationnistes en général, celle du spectacle de Dieudonné en particulier, procéderaient d'une stratégie contestable car foncièrement contre-productive. Quant au refus de débattre avec les complotistes, il alimenterait le conspirationnisme plutôt qu'il ne l'endiguerait.

Cet argument est assez répandu. Il prospère avant tout sur notre incapacité collective à lui opposer un démenti ferme et résolu. Pour cette raison, il mérite qu'on s'y arrête. C'est en effet une curieuse manière de combattre un discours fallacieux que de commencer par lui concéder l'essentiel. Car si l'on est persuadé de l'inanité de l'argument du « deux poids, deux mesures » ; si l'on est convaincu qu'il n'est qu'un « sentiment » – et un sentiment trompeur de surcroît – ; si l'on est conscient que Dieudonné et Soral essaient de se faire passer pour des martyrs qu'ils ne sont pas ; alors le courage et la plus impérieuse des pédagogies doivent être de le dire, de le clamer, de le marteler sans cesse s'il le faut, plutôt que de renoncer à ce que l'on sait être juste.

Les antisémites, les négationnistes et les obsédés du complot font feu de tout bois. Pense-t-on un seul instant qu'ils puissent se satisfaire de nos concessions ? Et croit-on vraiment que le conspirationnisme a besoin, pour proliférer, de la loi Gayssot ou de l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné ? Ne sommes-nous pas là face à une inversion des causes et des effets ?

 

* Texte publié initialement sur le site du HuffingtonPost.

Cet article est en accès libre.
Pour qu’il le reste, Conspiracy Watch a besoin de vous.
Je suis d'accord, je fais un don
je continue ma lecture

Pour prouver aux complotistes qu'ils ont tort, pour leur montrer qu'ils ne sont pas des martyrs de la liberté d'expression, faudra-t-il, demain, se résoudre à organiser des débats publics opposant évolutionnistes et créationnistes ?*

Frédéric Taddéi et Dieudonné M'Bala M'Bala sur le plateau de l'émission "Ce soir (ou jamais !)" (France 3, 30 novembre 2006).

Samedi 27 février, Alain Finkielkraut recevait dans Répliques (France Culture) Anastasia Colosimo, auteure des Bûchers de la liberté (Stock, 2016). Vers la fin de l'émission, consacrée au blasphème et à la question du sacré, la discussion en vint à la loi Gayssot réprimant les propos négationnistes et à la question connexe de la paranoïa complotiste.

Anastasia Colosimo n'est pas dupe du procès en « deux poids, deux mesures » intenté à la loi Gayssot qui transparaît au travers de l'argument rhétorique bien connu selon lequel on aurait le droit de caricaturer le Prophète de l'islam mais pas de nier l'extermination des Juifs. Sans aucune équivoque, elle estime que l'on ne peut pas mettre sur le même plan une « vérité » révélée et une vérité historique. Une fois rappelée cette distinction essentielle, elle s'inquiète toutefois des effets pervers de ces « lois mémorielles » qui limitent la liberté d'expression au nom du respect dû à la vérité historique :

« S'il n'y a pas de "deux poids deux mesures" dans la loi [Gayssot], cette loi donne un sentiment de "deux poids deux mesures" ; [de sorte qu'elle] contribue à la folie complotiste de personnages comme Dieudonné et Soral [qui] retirent de tout cela une vraie figure de martyrs ».

L'interdiction des propos négationnistes en général, celle du spectacle de Dieudonné en particulier, procéderaient d'une stratégie contestable car foncièrement contre-productive. Quant au refus de débattre avec les complotistes, il alimenterait le conspirationnisme plutôt qu'il ne l'endiguerait.

Cet argument est assez répandu. Il prospère avant tout sur notre incapacité collective à lui opposer un démenti ferme et résolu. Pour cette raison, il mérite qu'on s'y arrête. C'est en effet une curieuse manière de combattre un discours fallacieux que de commencer par lui concéder l'essentiel. Car si l'on est persuadé de l'inanité de l'argument du « deux poids, deux mesures » ; si l'on est convaincu qu'il n'est qu'un « sentiment » – et un sentiment trompeur de surcroît – ; si l'on est conscient que Dieudonné et Soral essaient de se faire passer pour des martyrs qu'ils ne sont pas ; alors le courage et la plus impérieuse des pédagogies doivent être de le dire, de le clamer, de le marteler sans cesse s'il le faut, plutôt que de renoncer à ce que l'on sait être juste.

Les antisémites, les négationnistes et les obsédés du complot font feu de tout bois. Pense-t-on un seul instant qu'ils puissent se satisfaire de nos concessions ? Et croit-on vraiment que le conspirationnisme a besoin, pour proliférer, de la loi Gayssot ou de l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné ? Ne sommes-nous pas là face à une inversion des causes et des effets ?

 

* Texte publié initialement sur le site du HuffingtonPost.

Afficher plus

Inscrivez-vous à notre newsletter 

Depuis seize ans, Conspiracy Watch contribue à sensibiliser aux dangers du complotisme en assurant un travail d’information et de veille critique sans équivalent. Pour pérenniser nos activités, le soutien de nos lecteurs est indispensable.  

Faire un don !
à propos de l'auteur
[show_profile_image]
Rudy Reichstadt
Directeur de Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour l'hebdomadaire Franc-Tireur. Co-auteur du film documentaire « Complotisme : les alibis de la terreur », il a publié chez Grasset L'Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (2019) et Au cœur du complot (2023) et a co-dirigé Histoire politique de l'antisémitisme en France. De 1967 à nos jours, chez Robert Laffont (2024). Il a également participé à l'élaboration du rapport « Les Lumières à l’ère numérique » dans le cadre de la commission Bronner (2022). Depuis 2021, il co-anime le podcast « Complorama » sur France Info.
TOUS LES ARTICLES DE Rudy Reichstadt
Partager :
Conspiracy Watch | l'Observatoire du conspirationnisme
© 2007-2024 Conspiracy Watch | Une réalisation de l'Observatoire du conspirationnisme (association loi de 1901) avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
cross