Quand le porte-parole du Kremlin fustige le conspirationnisme, c’est qu’il y a anguille sous roche !
Mardi 15 janvier 2019, dans un entretien au journal russe Argoumenty i Fakty, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les accusations de collusion entre Vladimir Poutine et Donald Trump étaient une « [théorie du] complot qui n’a rien à voir avec la réalité ».
Des propos qui, au premier abord, peuvent légitimement étonner de la part d’un homme qui s’est illustré à plusieurs reprises en agitant la thèse de la « provocation », par exemple à l’occasion de l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov ou lors de l’éclatement du scandale des Panama Papers. Assimiler les soupçons visant Moscou à une lubie « conspirationniste » est pourtant une constante du discours officiel russe depuis l'éclatement du Russiagate il y a plus de deux ans. Réduire de tels soupçons à un fantasme de collusion personnelle entre le président de la Fédération de Russie et son homologue américain remplit une fonction claire : s'épargner d'avoir à fournir la moindre explication quant aux indices accablants qui ont pu être recueillis au fil des mois d'une tentative du gouvernement russe d'influencer l’issue du scrutin ayant permis à Donald Trump d’accéder à la Maison Blanche. Car cette dernière hypothèse n’a rien de déraisonnable.
Elle l’est si peu qu’en juillet 2018, le procureur spécial Robert Mueller, chargé d'enquêter sur l'ingérence russe pendant l'élection présidentielle de 2016, a inculpé douze membres du renseignement militaire russe accusés d'avoir piraté les systèmes informatiques du Parti Démocrate. Cinq mois plus tôt, il avait mis en accusation treize citoyens russes et trois entités russes, dont l'Internet Research Agency (IRA), une organisation basée à Saint-Pétersbourg dont les agents ont eu recours à toutes les techniques de cyberpropagande disponibles (trolling, bots, faux comptes sur Twitter et Facebook) pour influencer l’opinion publique américaine.
Décrite par le rapport CAPS/IRSEM sur les manipulations de l’information comme une « usine à trolls », l’IRA a employé jusqu’à plusieurs centaines de jeunes Russes depuis 2013 dans des locaux de plusieurs milliers de m². Elle est dirigée par un proche de Vladimir Poutine, inculpé par Robert Mueller pour « conspiration contre les Etats-Unis » : l'homme d'affaires Yevgeniy Prigozhin.
Les actes d’accusation visant ces personnes et entités sont librement téléchargeables sur le site du Department of Justice des Etats-Unis (ici et là). Et ils reposent – doit-on s'en étonner ? – sur des éléments autrement plus solides que ceux sur lesquels sont habituellement bâties les théories du complot diffusées par le Kremlin. Sans même parler des aveux de l'espionne russe Maria Boutina le mois dernier. Ou des propos de Rudy Giuliani, l'avocat du président américain, selon lesquels il n'a « jamais dit qu'il n'y avait pas eu de collusion » entre l'équipe de campagne de Donald Trump en 2016 et la Russie.
Les conclusions de l'enquête montreront – ou pas – l'existence d'une telle collusion et si cette ingérence russe présumée fut déterminante dans l'issue du scrutin. En attendant, il est frappant d'observer que le lexique utilisé par Dmitri Peskov est parfaitement raccord avec celui de Donald Trump. Le 16 juillet 2018, lors du sommet russo-américain d'Helsinki, le locataire de la Maison Blanche avait en effet qualifié cette hypothèse d'une ingérence de la Russie – son rôle, en particulier, dans le piratage des emails du Comité national démocrate (DNC), l’instance chargée de piloter la campagne du Parti démocrate au niveau national – de « théorie du complot [qui] a beaucoup affecté la relation de nos deux pays ».
L'usage cynique que fit alors Donald Trump de ce terme de « théorie du complot » procède de la même rhétorique abusive que celle qui lui fait utiliser le terme de fake news pour vilipender les médias qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Il y a là non pas la marque d'une quelconque détermination à lutter contre le complotisme mais celle, au contraire, de l'instrumentalisation purement politicienne d'un phénomène à l'exacerbation duquel Donald Trump est loin d'être étranger. La situation ne manque pas d’ironie quand on songe en effet que cette expression de « théorie du complot » a été utilisée, à Helsinki, par le chef d'Etat sans doute le plus éhontément conspirationniste que l'Amérique ait jamais porté à sa tête ; qui, au cours de sa conférence de presse conjointe avec le chef du Kremlin, n’a pas hésité à faire allusion à certaines théories du complot éculées sur ses rivaux démocrates dans un but qui semble bien avoir été de détourner l’attention des accusations pesant sur la Russie.
Loin de renforcer la nécessaire vigilance contre le complotisme, cet anti-complotisme postural prêterait à sourire s'il n'avait aussi pour effet de brouiller la différence existant entre le doute raisonnable et le refus obstiné des faits.
Voir aussi :
Pour Ron Paul, le massacre de la Ghouta est un « false flag »
Affaire Skripal : comment la diplomatie russe utilise les théories du complot
Mardi 15 janvier 2019, dans un entretien au journal russe Argoumenty i Fakty, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les accusations de collusion entre Vladimir Poutine et Donald Trump étaient une « [théorie du] complot qui n’a rien à voir avec la réalité ».
Des propos qui, au premier abord, peuvent légitimement étonner de la part d’un homme qui s’est illustré à plusieurs reprises en agitant la thèse de la « provocation », par exemple à l’occasion de l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov ou lors de l’éclatement du scandale des Panama Papers. Assimiler les soupçons visant Moscou à une lubie « conspirationniste » est pourtant une constante du discours officiel russe depuis l'éclatement du Russiagate il y a plus de deux ans. Réduire de tels soupçons à un fantasme de collusion personnelle entre le président de la Fédération de Russie et son homologue américain remplit une fonction claire : s'épargner d'avoir à fournir la moindre explication quant aux indices accablants qui ont pu être recueillis au fil des mois d'une tentative du gouvernement russe d'influencer l’issue du scrutin ayant permis à Donald Trump d’accéder à la Maison Blanche. Car cette dernière hypothèse n’a rien de déraisonnable.
Elle l’est si peu qu’en juillet 2018, le procureur spécial Robert Mueller, chargé d'enquêter sur l'ingérence russe pendant l'élection présidentielle de 2016, a inculpé douze membres du renseignement militaire russe accusés d'avoir piraté les systèmes informatiques du Parti Démocrate. Cinq mois plus tôt, il avait mis en accusation treize citoyens russes et trois entités russes, dont l'Internet Research Agency (IRA), une organisation basée à Saint-Pétersbourg dont les agents ont eu recours à toutes les techniques de cyberpropagande disponibles (trolling, bots, faux comptes sur Twitter et Facebook) pour influencer l’opinion publique américaine.
Décrite par le rapport CAPS/IRSEM sur les manipulations de l’information comme une « usine à trolls », l’IRA a employé jusqu’à plusieurs centaines de jeunes Russes depuis 2013 dans des locaux de plusieurs milliers de m². Elle est dirigée par un proche de Vladimir Poutine, inculpé par Robert Mueller pour « conspiration contre les Etats-Unis » : l'homme d'affaires Yevgeniy Prigozhin.
Les actes d’accusation visant ces personnes et entités sont librement téléchargeables sur le site du Department of Justice des Etats-Unis (ici et là). Et ils reposent – doit-on s'en étonner ? – sur des éléments autrement plus solides que ceux sur lesquels sont habituellement bâties les théories du complot diffusées par le Kremlin. Sans même parler des aveux de l'espionne russe Maria Boutina le mois dernier. Ou des propos de Rudy Giuliani, l'avocat du président américain, selon lesquels il n'a « jamais dit qu'il n'y avait pas eu de collusion » entre l'équipe de campagne de Donald Trump en 2016 et la Russie.
Les conclusions de l'enquête montreront – ou pas – l'existence d'une telle collusion et si cette ingérence russe présumée fut déterminante dans l'issue du scrutin. En attendant, il est frappant d'observer que le lexique utilisé par Dmitri Peskov est parfaitement raccord avec celui de Donald Trump. Le 16 juillet 2018, lors du sommet russo-américain d'Helsinki, le locataire de la Maison Blanche avait en effet qualifié cette hypothèse d'une ingérence de la Russie – son rôle, en particulier, dans le piratage des emails du Comité national démocrate (DNC), l’instance chargée de piloter la campagne du Parti démocrate au niveau national – de « théorie du complot [qui] a beaucoup affecté la relation de nos deux pays ».
L'usage cynique que fit alors Donald Trump de ce terme de « théorie du complot » procède de la même rhétorique abusive que celle qui lui fait utiliser le terme de fake news pour vilipender les médias qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Il y a là non pas la marque d'une quelconque détermination à lutter contre le complotisme mais celle, au contraire, de l'instrumentalisation purement politicienne d'un phénomène à l'exacerbation duquel Donald Trump est loin d'être étranger. La situation ne manque pas d’ironie quand on songe en effet que cette expression de « théorie du complot » a été utilisée, à Helsinki, par le chef d'Etat sans doute le plus éhontément conspirationniste que l'Amérique ait jamais porté à sa tête ; qui, au cours de sa conférence de presse conjointe avec le chef du Kremlin, n’a pas hésité à faire allusion à certaines théories du complot éculées sur ses rivaux démocrates dans un but qui semble bien avoir été de détourner l’attention des accusations pesant sur la Russie.
Loin de renforcer la nécessaire vigilance contre le complotisme, cet anti-complotisme postural prêterait à sourire s'il n'avait aussi pour effet de brouiller la différence existant entre le doute raisonnable et le refus obstiné des faits.
Voir aussi :
Pour Ron Paul, le massacre de la Ghouta est un « false flag »
Affaire Skripal : comment la diplomatie russe utilise les théories du complot
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