D’après une enquête commandée par l’Anti-Defamation League (ADL), la principale organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme, près d’un Européen sur quatre reconnaît nourrir de l’hostilité à l’égard des Juifs. Si le phénomène est relativement stable en Europe occidentale, le sondage révèle que les idées haineuses à l’égard des Juifs sont en revanche en hausse dans les pays d’Europe centrale et orientale, où les stéréotypes sur le prétendu contrôle du monde des affaires et de la finance par les Juifs, ainsi que sur leur prétendue « double allégeance », sont tenaces.
Ce sondage fait partie d’un ambitieux programme, « ADL Global 100: an index of anti-Semitism », qui s’efforce, par des campagnes répétées, de mesurer l’emprise de l’antisémitisme dans plus de 100 pays à travers le monde. L’évaluation porte sur les attitudes négatives envers les Juifs, l’ADL examinant également le nombre et la nature des incidents. L’organisation américaine sonde aussi les communautés juives sur leurs expériences de l'antisémitisme, les politiques gouvernementales et d'autres facteurs.
L’édition 2019 a porté sur 18 pays et recueilli les avis de 9.056 adultes (voir ici la méthodologie). Les données ont été collectées entre le 15 avril et le 3 juin 2019 en Europe orientale et occidentale, au Canada, en Afrique du Sud, en Argentine et au Brésil, régions et pays dont les populations se composent d'une minorité juive substantielle. Les onze questions, qui sont celles déjà posées lors des campagnes antérieures, révèle une augmentation des attitudes antisémites depuis la campagne précédente, en Argentine, au Brésil, en Pologne, en Russie, en Afrique du Sud et en Ukraine. Dans les pays d’Europe centrale et orientale ciblés, le thème du « pouvoir juif » dans les affaires et celui de la « double allégeance » sont particulièrement répandus et beaucoup d’enquêtés estiment également que les Juifs parlent trop de la Shoah.
En Pologne, où la restitution des biens juifs et où une loi sur la manière de parler de la responsabilité des Polonais dans la Shoah ont été des sujets brûlants ces dernières années, les attitudes antisémites sont passées de 37% de la population en 2015, à 48%. Environ trois personnes interrogées sur quatre en Pologne considèrent que « les Juifs parlent encore trop de ce qui leur est arrivé dans l'Holocauste ».
En Hongrie, où un gouvernement nationaliste a mené des campagnes anti-immigrés dénonçant le rôle du financier juif George Soros, 25% de la population estiment que « les Juifs veulent affaiblir notre culture nationale en aidant davantage d'immigrants à venir dans notre pays ». Plus globalement, le sondage fait apparaître un taux de 42% de la population partageant des préjugés antijuifs, contre 40% en 2015.
« Il est très préoccupant de constater qu'environ un Européen sur quatre a des types de croyances antisémites qui existaient déjà avant l'Holocauste », commente Jonathan Greenblatt, directeur général de l’ADL. « Ces résultats constituent un puissant avertissement pour rappeler qu'il reste encore beaucoup à faire pour éduquer de larges couches de la population dans plusieurs de ces pays afin qu'elles repoussent le fanatisme, en plus de répondre aux besoins urgents en matière de sécurité lorsque des incidents violents se multiplient. »
Depuis l'enquête de l’ADL menée en 2015, les attitudes antisémites ont considérablement augmenté en Ukraine (+ 14%), en Pologne (+ 11%), en Afrique du Sud et au Brésil (+ 9%), en Russie (+ 8%) et en Argentine (+ 6%). Dans le même temps, les attitudes antisémites ont enregistré des baisses importantes en Italie (- 11%), en Autriche (- 8%) et au Canada (- 6%).
Les grands enseignements de l’enquête
Le sondage a révélé des baisses importantes de l’indice global en Italie et en Autriche. En Italie, les attitudes antisémites ont chuté de 11% ; en Autriche, elles ont diminué de 8%. Dans l’ensemble, ces attitudes n’ont pratiquement pas changé en Belgique (24%), en Allemagne (15%) et au Danemark (10%).
Dans la plupart des pays européens, peu de gens blâment les Juifs pour des questions liées à l’immigration. Le sondage a toutefois révélé que de nombreux sondés estiment que les traditions de leur pays sont menacées par un afflux de migrants. C’est particulièrement vrai en Autriche, au Danemark, en Hongrie et aux Pays-Bas où environ la moitié ou plus de la population pense que la culture et les traditions de leur pays sont menacées par l'immigration. En Afrique du Sud, 41% des sondés sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle « les Juifs veulent affaiblir notre culture nationale en soutenant les immigrants qui arrivent dans notre pays ».
Un soutien très faible à la campagne BDS
Dans tous les pays étudiés, à l'exception de l'Afrique du Sud, le soutien à la campagne de « Boycott-désinvestissement-sanctions » (BDS) – un mouvement à propos duquel le gouvernement israélien a récemment publié un rapport à charge dénonçant sa « nature antisémite » – s'est révélé extrêmement faible. Dans la plupart des pays européens, ce soutien est inférieur à 15%.
En Europe, le taux est le plus élevé en Belgique, où 18% des enquêtés ont déclaré soutenir le mouvement BDS. Au Danemark, en Suède et au Royaume-Uni, le soutien au boycott oscille autour de 15%. En Afrique du Sud, où l'appel au désinvestissement et au boycott a été utilisé contre le gouvernement de l'époque de l'apartheid, 38% de la population soutient la campagne BDS contre Israël.
Le cas de la France
L’édition 2019 montre que l’idée de « double allégeance » et le sentiment que les Juifs parlent trop de la Shoah, recueillent en France les taux d’adhésion les plus forts (respectivement 32 et 31 % en 2019, contre 33 et 34% en 2015).
Parmi les taux élevés viennent ensuite la croyance que les Juifs ont trop de pouvoir dans le monde des affaires (29% en 2019 contre 33 en 2015), sur les marchés financiers (25% en 2019 contre 26% en 2015) et sur les affaires du monde en général (22% en 2019 et en 2015). En revanche, seuls 5% des sondés estiment en 2019 que les Juifs ont une responsabilité dans le déclenchement des principaux conflits dans le monde (contre 6% en 2015). L’enquête indique un score global de 17% des sondés adhérant à la majorité des propositions (17% en 2015, 37% en 2014). Le taux est de 19%, concernant les enquêtés ayant déclaré appartenir à une confession chrétienne ; il monte à 45% chez ceux qui se déclarent musulmans ; il est de 11% pour les individus s’étant déclaré sans appartenance religieuse.
Notes :
Une année d'antisémitisme sur Twitter : une étude inédite de l'ADL
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