Pierre-André Taguieff : L'époque présente, qu'on la dise postmoderne ou hypermoderne, se caractérise par une forte augmentation des incertitudes et des peurs qu'elles provoquent ou stimulent. En quoi elle est particulièrement favorable à la multiplication des représentations ou des récits conspirationnistes, à leur diffusion rapide et à leur banalisation. Ces récits, si délirants soient-ils, présentent l'avantage de donner du sens aux événements incompréhensibles ou effrayants. Ils permettent ainsi d'échapper au spectacle terrifiant d'un monde déchiré, chaotique, instable, dans lequel tout semble possible à chaque instant. Ces récits mettent de l'ordre et de la rationalité dans les événements, qui paraissent ainsi s'enchaîner.
Les interprétations paranoïaques de tout ce qui arrive dans le monde, interprétations qu'il est convenu d'appeler "théories du complot", sont ainsi devenues socialement "normales" et culturellement "ordinaires". Sous le regard conspirationniste, les coïncidences ne sont jamais fortuites, elles ont valeur d'indices, révèlent des connexions cachées et permettent de fabriquer des micromodèles explicatifs des événements. L'utopie communiste a beau avoir été disqualifiée, sa démonologie anticapitaliste lui a survécu : les capitalistes, les "puissants" et les "maîtres de la finance" forment toujours la redoutable bande de démons que les hommes dénoncent comme les responsables cachés des malheurs qui les frappent. (...)
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Source : Le Point, n° 2046, semaine du 1er décembre 2011, pp. 92-94.
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