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Téléphones portables : santé publique et relents conspirationnistes

Publié par Nicolas Gauvrit20 août 2008

Téléphones portables : santé publique et relents conspirationnistes

En matière d’ondes et de santé, le discours des « électrosensibles » - qui se sentent victimes des WiFi, antennes relais et autres - est bien plus attrayant que les sobres conclusions des scientifiques. Pour des journalistes chez qui le désir de plaire dépasse la volonté d’informer, ou chez qui l’idéologie anesthésie l’esprit critique, adopter sans réserve le point de vue des « victimes » est tentant. Ils contribuent alors à l’expansion des superstitions (d’autant que le suivisme médiatique engendre souvent un effet boule de neige), renforcent une tendance anti-scientifique, et nuisent même aux personnes qu’ils pensent soutenir.

L’article de Laurent Carpentier, « Les révoltés des ondes », paru dans la revue Le Monde 2 du 3 mai 2008, est tout à fait représentatif de cette tendance. Sous des dehors d’objectivité qui ne résistent pas à une lecture attentive, il regroupe diverses techniques pour séduire et convaincre.

(…) La grande majorité des scientifiques s’accordent en ce qui concerne les ondes. Bernard Veyret, directeur de recherche au CNRS qui travaille sur la question depuis maintenant 23 ans, résume l’avis émergeant (page 27 de l’article du Monde 2). Selon le spécialiste, les ondes WiFi, celles provenant des antennes relais, celles de la radio et de la télévision, n’ont aucun impact détectable sur la santé. Le seul doute restant concerne l’utilisation intensive du téléphone portable sans oreillette, qui chauffe l’oreille, et pourrait également réchauffer légèrement le cerveau, organe éminemment fragile.

Téléphones portables : santé publique et relents conspirationnistes

Voilà bien quelque chose que le journaliste ne peut accepter : sa théorie ne résiste pas à la science. Il lui faut donc convaincre le lecteur que la science ne vaut rien. Pour cela, il procède de manière assez grossière, en interrogeant de façon plus que biaisée Bernard Veyret. Après la brève présentation du chercheur, le journaliste s’interroge innocemment sur le petit nombre d’experts mondiaux sur la question (sous-entendu : c’est une bande de copains, ils pensent tous pareils). Puis il abat son dernier atout : depuis peu, Bernard Veyret travaille également pour Bouygues… il est donc suspect. Le tour est joué : il paraît maintenant clair au lecteur que les quelques experts, tous amis de Bouygues, ne sont pas crédibles.

Mais ce n’est pas seulement dans la très brève interview de Veyret que le journaliste tente de manipuler le lecteur : tout au long de l’article, la théorie du complot est présente, plus ou moins insidieusement. On peut ainsi lire dans la présentation du médiateur de l’administration suédoise (qui pourtant reconnaît les électrosensibles) : « Lars Mjönes fait un sale métier : il est l’apôtre du tout-va-bien (…) ». Ou bien c’est l’histoire de Per Segerbäck, remercié d’une filiale d’Ericsson parce qu’il refusait d’ôter sa combinaison anti-ondes qui le fait ressembler à un cosmonaute. On est prié de croire que ce licenciement a pour seul but d’étouffer les cris des nombreuses victimes.

(…) L’impression que laisse une lecture trop rapide et non critique de l’article est la suivante : « Nous vivons en ce moment au cœur d’un grand complot qui entend cacher la réalité des faits : les ondes tuent, ou du moins rendent malade. Des victimes souffrent, pendant que les lobbies étouffent la réalité. Le complot est d’une telle envergure qu’il a réussi à empêcher la sortie de toutes les preuves de danger, à imposer le silence aux chercheurs qui résistent encore ».

Ne disposant d’aucun élément objectif pour nous prouver sa thèse, le journaliste utilise la rhétorique, le pathos, le dénigrement, et toutes les ficelles de la manipulation. Il passe notamment sous silence l’explication des symptômes (réels) des « électrosensibles » par l’effet nocebo, équivalent négatif de l’effet placebo. Il oublie de signaler que ces symptômes sont aussi ceux du stress et de la panique, que la peur peut justement déclencher des nausées, des démangeaisons, etc. Il oublie de signaler les études, parmi d’autres, des psychiatres qui ont montré que des électrosensibles souffrent des mêmes symptômes quand on leur fait croire qu’il y a des ondes, alors que ça n’est pas le cas…

(…) Que des entreprises de communication puissantes tentent de faire pression sur les scientifiques, et d’orienter les recherches, c’est à peu près certain. Mais qu’elles soient suffisamment puissantes pour étouffer totalement les travaux scientifiques : voilà qui n’est guère vraisemblable.

Source : Nicolas Gauvrit, « Panique ondulatoire dans les médias », Science et pseudo-sciences, n° 282, juillet 2008 (article reproduit sur le site de l’AFIS).

Voir aussi :

 

(Dernière mise à jour le 15/10/2009)

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Téléphones portables : santé publique et relents conspirationnistes

En matière d’ondes et de santé, le discours des « électrosensibles » - qui se sentent victimes des WiFi, antennes relais et autres - est bien plus attrayant que les sobres conclusions des scientifiques. Pour des journalistes chez qui le désir de plaire dépasse la volonté d’informer, ou chez qui l’idéologie anesthésie l’esprit critique, adopter sans réserve le point de vue des « victimes » est tentant. Ils contribuent alors à l’expansion des superstitions (d’autant que le suivisme médiatique engendre souvent un effet boule de neige), renforcent une tendance anti-scientifique, et nuisent même aux personnes qu’ils pensent soutenir.

L’article de Laurent Carpentier, « Les révoltés des ondes », paru dans la revue Le Monde 2 du 3 mai 2008, est tout à fait représentatif de cette tendance. Sous des dehors d’objectivité qui ne résistent pas à une lecture attentive, il regroupe diverses techniques pour séduire et convaincre.

(…) La grande majorité des scientifiques s’accordent en ce qui concerne les ondes. Bernard Veyret, directeur de recherche au CNRS qui travaille sur la question depuis maintenant 23 ans, résume l’avis émergeant (page 27 de l’article du Monde 2). Selon le spécialiste, les ondes WiFi, celles provenant des antennes relais, celles de la radio et de la télévision, n’ont aucun impact détectable sur la santé. Le seul doute restant concerne l’utilisation intensive du téléphone portable sans oreillette, qui chauffe l’oreille, et pourrait également réchauffer légèrement le cerveau, organe éminemment fragile.

Téléphones portables : santé publique et relents conspirationnistes

Voilà bien quelque chose que le journaliste ne peut accepter : sa théorie ne résiste pas à la science. Il lui faut donc convaincre le lecteur que la science ne vaut rien. Pour cela, il procède de manière assez grossière, en interrogeant de façon plus que biaisée Bernard Veyret. Après la brève présentation du chercheur, le journaliste s’interroge innocemment sur le petit nombre d’experts mondiaux sur la question (sous-entendu : c’est une bande de copains, ils pensent tous pareils). Puis il abat son dernier atout : depuis peu, Bernard Veyret travaille également pour Bouygues… il est donc suspect. Le tour est joué : il paraît maintenant clair au lecteur que les quelques experts, tous amis de Bouygues, ne sont pas crédibles.

Mais ce n’est pas seulement dans la très brève interview de Veyret que le journaliste tente de manipuler le lecteur : tout au long de l’article, la théorie du complot est présente, plus ou moins insidieusement. On peut ainsi lire dans la présentation du médiateur de l’administration suédoise (qui pourtant reconnaît les électrosensibles) : « Lars Mjönes fait un sale métier : il est l’apôtre du tout-va-bien (…) ». Ou bien c’est l’histoire de Per Segerbäck, remercié d’une filiale d’Ericsson parce qu’il refusait d’ôter sa combinaison anti-ondes qui le fait ressembler à un cosmonaute. On est prié de croire que ce licenciement a pour seul but d’étouffer les cris des nombreuses victimes.

(…) L’impression que laisse une lecture trop rapide et non critique de l’article est la suivante : « Nous vivons en ce moment au cœur d’un grand complot qui entend cacher la réalité des faits : les ondes tuent, ou du moins rendent malade. Des victimes souffrent, pendant que les lobbies étouffent la réalité. Le complot est d’une telle envergure qu’il a réussi à empêcher la sortie de toutes les preuves de danger, à imposer le silence aux chercheurs qui résistent encore ».

Ne disposant d’aucun élément objectif pour nous prouver sa thèse, le journaliste utilise la rhétorique, le pathos, le dénigrement, et toutes les ficelles de la manipulation. Il passe notamment sous silence l’explication des symptômes (réels) des « électrosensibles » par l’effet nocebo, équivalent négatif de l’effet placebo. Il oublie de signaler que ces symptômes sont aussi ceux du stress et de la panique, que la peur peut justement déclencher des nausées, des démangeaisons, etc. Il oublie de signaler les études, parmi d’autres, des psychiatres qui ont montré que des électrosensibles souffrent des mêmes symptômes quand on leur fait croire qu’il y a des ondes, alors que ça n’est pas le cas…

(…) Que des entreprises de communication puissantes tentent de faire pression sur les scientifiques, et d’orienter les recherches, c’est à peu près certain. Mais qu’elles soient suffisamment puissantes pour étouffer totalement les travaux scientifiques : voilà qui n’est guère vraisemblable.

Source : Nicolas Gauvrit, « Panique ondulatoire dans les médias », Science et pseudo-sciences, n° 282, juillet 2008 (article reproduit sur le site de l’AFIS).

Voir aussi :

 

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à propos de l'auteur
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Nicolas Gauvrit
Maître de conférence en mathématiques à l'Université d'Artois et psychologue du développement, Nicolas Gauvrit est membre du comité de rédaction de la revue "Science...et pseudo-sciences".
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