Le 14 octobre dernier, un Institut Emmanuel Ratier, du nom du journaliste d’extrême droite emporté par une attaque cardiaque à l’été 2015 à l’âge de 57 ans, a été inauguré sur le territoire de la petite commune de Niherne, dans l’Indre.
Comportant 17 salles, dont une du nom de l’ancien milicien François Brigneau, le lieu se veut un « centre d’archivage et de conservation du patrimoine identitaire et européen ». A ce titre, il a vocation à accueillir les « archives associatives du Vexin », soit des milliers de documents relatifs aux obsessions classiques de l’extrême droite française (les Juifs, les francs-maçons, l'immigration) ou concernant le « camp national » dans toute sa diversité (nationalisme, catholicisme traditionaliste, royalisme...). Le quotidien traditionaliste Présent est d’ailleurs partenaire de l’opération.
Le modeste bâtiment de 900 m² qui abrite l’Institut a été vendu par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (le mouvement catholique intégriste des partisans de Monseigneur Lefebvre) à la SCI d’Emmanuel Ratier. Dans un entretien téléphonique qu’elle nous a accordé, la maire de Niherne, Marie-Solange Hermen (divers droite), qui a été informée de l’ouverture du site la veille de l’inauguration, assure que « ce sont des gens tout à fait indépendants qui n’embêtent absolument personne. Ils ne me dérangent pas du tout. Nous sommes dans un pays encore libre. Il y avait beaucoup de monde samedi [14 octobre - ndlr]. Tout cela me paraît très correct ».
On ne rendrait justice ni à son parcours de militant nationaliste engagé ni à l’histoire de la droite radicale en faisant rétrospectivement de Ratier un simple « documentaliste » partageant cette passion pour Céline qui est loin d’être l’apanage des seuls nostalgiques de Vichy. Sans sacrifier à l’image héroïque que ses amis tentent de faire passer à la postérité, l’éditeur du bulletin Faits & Documents – probablement la « lettre confidentielle » la plus célèbre de France – était certainement plus que le paisible archiviste animé d’une patience de moine copiste que certains de ceux qui l’ont approché se plaisent à décrire.
Possédé par la manie des fiches, Ratier n’était pas qu’un collectionneur de « faits » et de « documents ». L’application qu’il mettait à collecter les moindres faits et gestes de tous les acteurs de la vie politique française était au service d’un projet éminemment idéologique. Ancien directeur de la rédaction de Minute, il anima pendant près d’une décennie une émission sur Radio Courtoisie et fut le fondateur de la plus fameuse librairie parisienne d’extrême droite (Facta, dans le 9ème arrondissement) au catalogue de laquelle figure aussi bien Robert Brasillach que Saint-Loup, Pierre Drieu La Rochelle ou le négationniste Robert Faurisson.
Un « Sherlock Holmes des puissants » ?
Cultivant la discrétion et son image d’auteur soucieux du détail et scrupuleux dans ses affirmations, Emmanuel Ratier se défendra toujours de verser dans un quelconque « complotisme ». Ses amis, comme Jean-Yves Le Gallou, diront de lui qu’il n’était « pas un complotiste, […] mais un Sherlock Holmes des puissants ». Reposant sur ce rapport très spécial à « la vérité » qui est le trait commun des hommes voués à une seule cause, sa vision du monde était cependant largement empreinte d’un conspirationnisme vraisemblablement hérité de son maître et ami, le collaborationniste Henry Coston (1910-2001).
Coston n’est pas, dans l’histoire de l’extrême droite française, un inconnu. Grand pourfendeur du « complot judéo-maçonnique », ce tenant d’un antisémitisme doctrinal à qui Ratier avait demandé d’être le témoin de son mariage avait, dans les années 30, relancé La Libre Parole d’Edouard Drumont avant de publier, sous l’Occupation, des bulletins d’information sur les francs-maçons ou sur « la question juive ».
Dévoiler à ses lecteurs « ce qu’on leur cache » : telle était la mission que le continuateur de Coston s’était assignée en lançant Faits & Documents qu’il présentait comme « l’unique publication française à suivre en détail les menées des organisations mondialistes, à mettre en évidence les réseaux actifs dans les affaires françaises et dans la politique, à dévoiler les travaux des obédiences maçonniques ».
Faut-il s’étonner que le nom de Ratier soit cité parmi les sources remerciées par Thierry Meyssan pour son brûlot complotiste sur les attentats du 11-Septembre, comme le révélèrent Jean Guisnel et Guillaume Dasquié dans leur enquête L’effroyable mensonge (La Découverte, 2002) ? Auteur, notamment, de Mystères et secrets du B’nai B’rith : la plus grande organisation juive internationale (Facta, 1993), et de Au cœur du pouvoir (Facta, 1996), un livre réédité à trois reprises et traitant des dîners du Siècle, ce club réunissant les élites politiques et économiques françaises, Ratier accorda en 2011 une interview exclusive à Thierry Meyssan, parue sur le site du Réseau Voltaire.
Dans La France maçonnique, un film réalisé par Paul-Éric Blanrue et Julien Teil « sur la nébuleuse la plus secrète de France ! » et diffusé après sa disparition, le « Sherlock Holmes des puissants » livre ses analyses en compagnie d’autres « experts » comme Dieudonné M’Bala M’Bala (sans rire), Jean-Yves Le Gallou, Stéphane Blet et Pierre Hillard.
Ratier commença à sortir de l’anonymat relatif où il s’était longtemps complu peu de temps avant sa mort – qualifiée par Jean-Marie Le Pen de « perte immense pour la cause nationale ». Moins informé qu’hanté par une « obsession juive » dénoncée en son temps par le journaliste Nicolas Domenach, son pamphlet anti-Valls (Le Vrai visage de Manuel Valls, Facta, 2014) connut un véritable et inquiétant succès. Il faut dire que la complosphère soralo-dieudonniste en assura une promotion qu’envieraient nombre de polygraphes antisémites.
« Si je veux ce lieu, écrivait Emmanuel Ratier à propos de l’Institut inauguré la semaine dernière dans l’Indre, ce n’est ni pour faire de l’entreposage, ni pour espérer monter une affaire rentable. C’est un acte militant, pour préserver la mémoire européenne. Dans quelques années, quand les gens ne se souviendront plus de l’Histoire réelle et qu’internet n’imposera qu’une version biaisée, ces livres seront là pour que nos enfants retrouvent la vérité ».
Comportant 17 salles, dont une du nom de l’ancien milicien François Brigneau, le lieu se veut un « centre d’archivage et de conservation du patrimoine identitaire et européen ». A ce titre, il a vocation à accueillir les « archives associatives du Vexin », soit des milliers de documents relatifs aux obsessions classiques de l’extrême droite française (les Juifs, les francs-maçons, l'immigration) ou concernant le « camp national » dans toute sa diversité (nationalisme, catholicisme traditionaliste, royalisme...). Le quotidien traditionaliste Présent est d’ailleurs partenaire de l’opération.
Le modeste bâtiment de 900 m² qui abrite l’Institut a été vendu par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (le mouvement catholique intégriste des partisans de Monseigneur Lefebvre) à la SCI d’Emmanuel Ratier. Dans un entretien téléphonique qu’elle nous a accordé, la maire de Niherne, Marie-Solange Hermen (divers droite), qui a été informée de l’ouverture du site la veille de l’inauguration, assure que « ce sont des gens tout à fait indépendants qui n’embêtent absolument personne. Ils ne me dérangent pas du tout. Nous sommes dans un pays encore libre. Il y avait beaucoup de monde samedi [14 octobre - ndlr]. Tout cela me paraît très correct ».
On ne rendrait justice ni à son parcours de militant nationaliste engagé ni à l’histoire de la droite radicale en faisant rétrospectivement de Ratier un simple « documentaliste » partageant cette passion pour Céline qui est loin d’être l’apanage des seuls nostalgiques de Vichy. Sans sacrifier à l’image héroïque que ses amis tentent de faire passer à la postérité, l’éditeur du bulletin Faits & Documents – probablement la « lettre confidentielle » la plus célèbre de France – était certainement plus que le paisible archiviste animé d’une patience de moine copiste que certains de ceux qui l’ont approché se plaisent à décrire.
Possédé par la manie des fiches, Ratier n’était pas qu’un collectionneur de « faits » et de « documents ». L’application qu’il mettait à collecter les moindres faits et gestes de tous les acteurs de la vie politique française était au service d’un projet éminemment idéologique. Ancien directeur de la rédaction de Minute, il anima pendant près d’une décennie une émission sur Radio Courtoisie et fut le fondateur de la plus fameuse librairie parisienne d’extrême droite (Facta, dans le 9ème arrondissement) au catalogue de laquelle figure aussi bien Robert Brasillach que Saint-Loup, Pierre Drieu La Rochelle ou le négationniste Robert Faurisson.
Un « Sherlock Holmes des puissants » ?
Cultivant la discrétion et son image d’auteur soucieux du détail et scrupuleux dans ses affirmations, Emmanuel Ratier se défendra toujours de verser dans un quelconque « complotisme ». Ses amis, comme Jean-Yves Le Gallou, diront de lui qu’il n’était « pas un complotiste, […] mais un Sherlock Holmes des puissants ». Reposant sur ce rapport très spécial à « la vérité » qui est le trait commun des hommes voués à une seule cause, sa vision du monde était cependant largement empreinte d’un conspirationnisme vraisemblablement hérité de son maître et ami, le collaborationniste Henry Coston (1910-2001).
Coston n’est pas, dans l’histoire de l’extrême droite française, un inconnu. Grand pourfendeur du « complot judéo-maçonnique », ce tenant d’un antisémitisme doctrinal à qui Ratier avait demandé d’être le témoin de son mariage avait, dans les années 30, relancé La Libre Parole d’Edouard Drumont avant de publier, sous l’Occupation, des bulletins d’information sur les francs-maçons ou sur « la question juive ».
Dévoiler à ses lecteurs « ce qu’on leur cache » : telle était la mission que le continuateur de Coston s’était assignée en lançant Faits & Documents qu’il présentait comme « l’unique publication française à suivre en détail les menées des organisations mondialistes, à mettre en évidence les réseaux actifs dans les affaires françaises et dans la politique, à dévoiler les travaux des obédiences maçonniques ».
Faut-il s’étonner que le nom de Ratier soit cité parmi les sources remerciées par Thierry Meyssan pour son brûlot complotiste sur les attentats du 11-Septembre, comme le révélèrent Jean Guisnel et Guillaume Dasquié dans leur enquête L’effroyable mensonge (La Découverte, 2002) ? Auteur, notamment, de Mystères et secrets du B’nai B’rith : la plus grande organisation juive internationale (Facta, 1993), et de Au cœur du pouvoir (Facta, 1996), un livre réédité à trois reprises et traitant des dîners du Siècle, ce club réunissant les élites politiques et économiques françaises, Ratier accorda en 2011 une interview exclusive à Thierry Meyssan, parue sur le site du Réseau Voltaire.
Dans La France maçonnique, un film réalisé par Paul-Éric Blanrue et Julien Teil « sur la nébuleuse la plus secrète de France ! » et diffusé après sa disparition, le « Sherlock Holmes des puissants » livre ses analyses en compagnie d’autres « experts » comme Dieudonné M’Bala M’Bala (sans rire), Jean-Yves Le Gallou, Stéphane Blet et Pierre Hillard.
Ratier commença à sortir de l’anonymat relatif où il s’était longtemps complu peu de temps avant sa mort – qualifiée par Jean-Marie Le Pen de « perte immense pour la cause nationale ». Moins informé qu’hanté par une « obsession juive » dénoncée en son temps par le journaliste Nicolas Domenach, son pamphlet anti-Valls (Le Vrai visage de Manuel Valls, Facta, 2014) connut un véritable et inquiétant succès. Il faut dire que la complosphère soralo-dieudonniste en assura une promotion qu’envieraient nombre de polygraphes antisémites.
« Si je veux ce lieu, écrivait Emmanuel Ratier à propos de l’Institut inauguré la semaine dernière dans l’Indre, ce n’est ni pour faire de l’entreposage, ni pour espérer monter une affaire rentable. C’est un acte militant, pour préserver la mémoire européenne. Dans quelques années, quand les gens ne se souviendront plus de l’Histoire réelle et qu’internet n’imposera qu’une version biaisée, ces livres seront là pour que nos enfants retrouvent la vérité ».
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