Quel est le parcours de cette figure du mouvement conspirationniste sur les attentats du 11 septembre 2001 ?
Le 20 novembre 2007, la librairie Résistance (1) recevait l’auteur d’un énième livre conspirationniste sur le 11-Septembre (2) : Webster Griffin Tarpley. Pour l’occasion, AtMOH, du site ReOpen911, avait contacté John-Paul Lepers et son équipe de la Télé Libre afin qu’ils couvrent l’événement. Quelques jours plus tard, une interview de Tarpley était mise en ligne sur LaTéléLibre.fr.
Les vingt minutes d’échanges entre John-Paul Lepers et le conférencier américain se déroulent dans une atmosphère bon enfant, confinant presque à la complaisance. Par exemple lorsque le journaliste concède que certains aspects des attentats du 11 septembre 2001 sont « troublants », n’opposant à Tarpley que la seule force de son incrédulité. Plus problématique encore : LaTéléLibre.fr n’indique à aucun moment qui est vraiment Webster G. Tarpley, son sulfureux passé militant, les nombreuses autres thèses extravagantes qu’il soutient et les liens étroits qu’il cultive avec l’extrême droite américaine. Une consultation préalable de l’article que lui consacre Wikipédia aurait pourtant incité n’importe quel journaliste à la prudence. Hélas, sur le 11-Septembre, LaTéléLibre.fr semble davantage soucieuse de faire du buzz et de caresser son lectorat dans le sens du poil que d’informer scrupuleusement (lire : La Télé Libre intoxique à la vitesse de la chute libre, et La Télé Libre cautionne l’imposture de Harrit et Jones).
Webster Tarpley a aujourd’hui pignon sur rue. Chroniqueur régulier de la télévision Russia Today, ses ouvrages sont traduits en français, en allemand, en italien, en espagnol et même en japonais. Ce succès tardif est la moisson inespérée d’un quart de siècle de militantisme au sein de l’organisation politico-sectaire fondée par Lyndon LaRouche - un mouvement considéré comme « crypto-fasciste » par tous les politologues qui s’y sont intéressés (3). Tarpley s’y est hissé au plus haut niveau de responsabilité. Pour les besoins de la cause, il a été amené à y défendre les thèses les plus délirantes. De ce passé, il semble que Tarpley n’ait jamais rien renié.
Précoce, il fait déjà partie du comité de rédaction d’une revue larouchiste, The Campaigner, en 1971. Il a 25 ans. Dans les années qui suivent, il émarge au comité de rédaction de l’Executive Intelligence Review (EIR – autre publication larouchiste) (4). Il vit en Italie et en Allemagne avant d’être nommé, dans les années 1980, à la tête de l’Institut Schiller (5) de Washington. L’implication de Tarpley dans le mouvement est telle qu’elle a des répercussions jusque sur sa vie personnelle. Il a ainsi rencontré ses deux épouses successives au sein même de l’organisation larouchiste (6).
En 1997, après vingt-six ans de fidèles et loyaux services, Tarpley démissionne du comité exécutif européen de l’International Caucus of Labor Committees, une structure chargée de fédérer les mouvements larouchistes implantés un peu partout dans le monde. Webster Tarpley a donc quitté officiellement le mouvement larouchiste. Mais le mouvement larouchiste, lui, a-t-il vraiment quitté Tarpley ? Ce n’est pas l’avis de Dennis King, auteur de Lyndon Larouche and the New American Fascism, pour qui « Tarpley est ce que l’on pourrait appeler un larouchiste sans LaRouche ». Son parcours ces quinze dernières années témoigne en effet d’une remarquable continuité avec sa carrière antérieure. Pêle-mêle, Webster Tarpley a dit et écrit que les attentats de la gare d’Atocha (Madrid) en 2004 et de Londres du 7 juillet 2005 étaient en réalité des « opérations sous faux pavillon » fomentées par l’OTAN ; que Karl Marx était un agent du Foreign Office britannique (7) ; que la thèse d’une origine anthropique du réchauffement climatique était une « escroquerie » (8) ; que le commandant Massoud a été éliminé par la CIA (9) et que Ben Laden est une marionnette entre les mains de la même CIA. Tarpley a prophétisé, pour l’été 2007, une attaque des Etats-Unis au moyen d’armes de destruction massive, le tout commandité par le vice-président Dick Cheney en personne (10). Interrogé sur Lyndon LaRouche, Tarpley perpétue la fable selon laquelle son ancien mentor aurait été la victime d’un emprisonnement politique (11). En réalité, LaRouche a bien été emprisonné (de 1988 à 1994) mais en rien pour des motifs politiques : il a été jugé et condamné pour avoir abusé de la confiance de pauvres gens et pour fraude fiscale.
L’éditeur de Tarpley, Progressive Press, est une petite maison d’édition californienne spécialisée dans la dénonciation du « Nouvel Ordre Mondial ». Elle diffuse des livres antisémites comme ceux de Henry Makow, Des Griffin ou Matthias Chang. Son catalogue propose également plusieurs livres larouchistes comme Dope Inc. (édité par l’EIR) ou Seeds of Destruction de William Engdahl (dont la version française, OGM : semences de destruction, a été préfacée par José Bové).
Webster Tarpley se présente volontiers comme un « historien ». Ce qu’il n’est pas. A moins de qualifier ainsi un individu qui n’a pas le moindre diplôme universitaire dans cette discipline et se borne à synthétiser des sources de seconde main pour réécrire l’histoire. Il n’a rien non plus d’un « journaliste » professionnel classique (12) et l’on se demande s’il a un jour écrit pour d’autres journaux que ceux de Lyndon LaRouche. Qu’à cela ne tienne, Tarpley est devenue en quelques années l’une des personnalités clés du 9/11 Truth Movement. En mai-juin 2005, il participe au 9/11 Truth Tour aux côtés de Christopher Bollyn, du journal d’extrême droite American Free Press (Lire : Kassovitz élude les sources très embarrassantes de Loose Change). Financée par le millionnaire américain Jimmy Walter (13), cette tournée européenne est destinée à faire la promotion des thèses complotistes sur le 11-Septembre à travers toute l’Europe. C’est tout naturellement que Tarpley est invité, à l’automne 2005, à intervenir lors de la conférence Axis for Peace organisée par Thierry Meyssan à Bruxelles (14) et sponsorisée par American Free Press. Tarpley y retrouve ses anciens camarades Helga Zepp-LaRouche (l’épouse du gourou) et Jacques Cheminade, l’homme-lige de LaRouche en France.
Webster Tarpley soutient, dans le droit fil de son ancien mentor, « que les événements du 11-Septembre ont été organisés et dirigés par un réseau voyou de hautes personnalités du gouvernement et de l’armée des Etats-Unis avec la complicité des services secrets britanniques et israéliens et le soutien des services secrets d’autres Etats membres du réseau Echelon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et le Canada ». On retrouve dans la bibliographie de La Terreur fabriquée : made in USA les noms d’à peu près tous les auteurs conspirationnistes qui ont écrit sur le 11-Septembre : Thierry Meyssan, Pierre-Henri Bunel, Michel Chossudovsky, David Ray Griffin, Jim Marrs, Andreas Von Bülow, Mathias Bröckers, Gerhard Wisnewski et même… David Icke ! Cet ancien footballer anglais est le grand théoricien du « complot reptilien ». Selon lui, le monde serait gouverné par une race de lézards extra-terrestres ayant pris forme humaine et n’étant pas sans rapport avec « une petite clique de juifs » (sic) ayant provoqué la Seconde Guerre mondiale (Icke professe que les Protocoles des Sages de Sion sont authentiques).
Tarpley assume également tous ses écrits du temps où il travaillait pour le compte de LaRouche. L’ouvrage qu’il a co-rédigé sur George Bush père (George Bush: The Unauthorized Biography) avec Anton Chaitkin (l’assistant de LaRouche) a été diffusé en 1992 par l’EIR. Il a été réédité en 2004 par Progressive Press (15). En 2008, Tarpley revient à la charge avec Barack Obama: The Unauthorized Biography et Barack Obama: The Post Modern Coup, toujours paru chez Progressive Press. Il y traite l’actuel résident de la Maison Blanche de « cynique opportuniste » et de « social-fasciste ». Marié à une « idéologue fasciste post-moderne » (sic), Obama aurait été recruté et endoctriné par Zbigniew Brzezinski, co-fondateur de la Commission Trilatérale et du Council on Foreign Relations (CFR). Dressant ce portrait tout en nuances, Tarpley croit devoir ajouter que, selon ses sources, le président américain serait homosexuel…
Autre exemple d’élucubrations encore disponibles à ce jour sur le site personnel de Tarpley : ses écrits sur l’oligarchie vénitienne. Publiés en 1996 sous le titre « Against Oligarchy. Essays & Speeches », ces textes nous renseignent remarquablement sur la manière dont Tarpley se représente le monde et l’histoire. En 1981, The Campaigner, revue phare du mouvement larouchiste, publie un texte de Tarpley intitulé ni plus ni moins « La Conspiration vénitienne » (16). L’auteur y explique que le monde moderne est l’aboutissement d’un plan de domination conçu entre les années 1200 et 1600 par un groupe de banquiers et de francs-maçons vénitiens. Cette faction occulte aurait été à l’origine de la Réforme protestante et des Lumières. Elle aurait joué un rôle décisif dans la création de l’ordre des Jésuites. Son but ? Faire triompher les idées matérialistes, l’athéisme et l’utilitarisme, sources du Mal qui ronge notre époque selon la doxa larouchiste. Interprétant l’histoire du dernier millénaire à l’aune d’un conflit pluriséculaire entre « Platoniciens » et « Aristotéliciens » (un thème de prédilection de Lyndon LaRouche), Tarpley explique qu’après avoir régné pendant quatre siècles sur la finance internationale depuis la Cité des Doges, ces puissants oligarques se seraient établis, à l’orée du XVIIème siècle, sur les bords de la Tamise, formant le « Parti anglo-vénitien ». Composé de « libertins, de libre-penseurs et de satanistes » s’adonnant depuis des siècles à la magie noire, cette élite maléfique serait également derrière l’assassinat d’Henri IV. Ses héritiers ne seraient autres que Bertrand Russell, Zbigniew Brzezinski ou Henry Kissinger – que les larouchistes accusent depuis des décennies d’avoir mis au point un grand plan de réduction de la population mondiale en répandant le virus du sida (Lire : Le sida, la grippe aviaire, Henry Kissinger et la Torah).
Dans son entreprise de réécriture de l’histoire, Tarpley n’hésite pas à faire de Galilée un « agent d’influence du Parti vénitien » dont le procès aurait été en réalité « l’une des opérations les plus réussies de relations publiques de tous les temps ». Idem pour Voltaire : « les historiens français, écrit Tarplay, ne sont pas à l’aise avec l’idée que le plus célèbre des Français a été un agent vénitien, mais la démonstration est indiscutable ». Isaac Newton est sans conteste celui à qui Tarpley réserve l’essentiel de ses philippiques : un « excentrique sectaire et sénile », un « irrationaliste invétéré », « une personnalité méfiante, paranoïaque et instable », un « charlatan » qui n’aurait jamais rien découvert et qui, Tarpley prend soin de le préciser, aurait secrètement étudié la Kabbale juive… Montaigne, Malebranche, Fontenelle, Montesquieu, Rousseau, les Encyclopédistes mais aussi John Locke, Francis Bacon et Thomas Hobbes seraient tous, de près ou de loin, liés à la grande « conspiration vénitienne ».
Dans un texte ultérieur, Tarpley reprend à son compte la dénonciation très larouchiste d’une grande conspiration qui lierait les Juifs et les homosexuels, accusés de vouloir subvertir la société américaine : « Les oligarques vénitiens sont devenus homosexuels à cause de leur manie obsessionnelle de conserver la fortu
ne de leur famille intacte en ayant la garantie qu’ils n’auraient qu’un seul héritier ». « A cette époque, continue Tarpley, plus des deux tiers des hommes de la noblesse et même un pourcentage élevé de femmes nobles, n’étaient pas mariés. Nous avons ici les racines du Homintern moderne de Henry Kissinger. La principale tâche de Casanova était d’atteindre le roi Louis XV à travers son appétit sexuel » (17).
Le fameux Homintern évoqué par Tarpley est un terme formé à partir du préfixe « homo- » de « homosexuel » et du mot Komintern (qui désigne la Troisième Internationale ou Internationale communiste). L’expression apparaît dans les publications larouchistes à partir des années 1980, à travers une série de caricatures dans lesquelles des personnalités juives new-yorkaises sont montrées vêtues de toges, s’adonnant à une orgie romaine sponsorisée par le maire Ed Koch, l’« Empereur de Homohattan » (autre jeu de mot sinistre formé à partir de « Manhattan »). Déjà, dans les années 1970, les larouchistes publiaient des diatribes enflammées contre « la politique de tapettes » (« faggot politics ») des activistes homosexuels « pro-sionistes » (18). Il est vrai que LaRouche n’a jamais fait mystère de son aversion pour l’homosexualité. Pour le politologue Chip Berlet, le passage de Tarpley est limpide : en utilisant le mot Homintern, l’auteur suggère l’existence d’une fantasmatique « Internationale homosexuelle » instrumentalisée par les Juifs (en l’espèce, Henry Kissinger), comme l’aurait été, selon les théories du complot traditionnelles de l’extrême droite, l’Internationale communiste de jadis (19).
C’est très logiquement que de nombreux textes de Tarpley sont repris sur des sites antisémites et négationnistes. Tarpley s’en accommode très bien. Pourquoi ce familier d’émissions de radio d’extrême droite verrait-il d’un mauvais oeil ses amis faire la promotion de ses thèses ? En effet, Tarpley intervient fréquemment aux micros d’Alex Jones et de John Stadtmiller (20). Au début du mois de juin 2010, il était une nouvelle fois l’invité de l’émission de Jeff Rense, un ami de longue date, qui met en ligne les articles de Tarpley sur son site depuis des années. Le site de Rense, outre qu’il s’intéresse de près aux extra-terrestres, propose aussi sur sa page d’accueil la version intégrale des Protocoles des Sages de Sion ainsi que de nombreux autres textes au contenu sans équivoque.
Notes :
Le 20 novembre 2007, la librairie Résistance (1) recevait l’auteur d’un énième livre conspirationniste sur le 11-Septembre (2) : Webster Griffin Tarpley. Pour l’occasion, AtMOH, du site ReOpen911, avait contacté John-Paul Lepers et son équipe de la Télé Libre afin qu’ils couvrent l’événement. Quelques jours plus tard, une interview de Tarpley était mise en ligne sur LaTéléLibre.fr.
Les vingt minutes d’échanges entre John-Paul Lepers et le conférencier américain se déroulent dans une atmosphère bon enfant, confinant presque à la complaisance. Par exemple lorsque le journaliste concède que certains aspects des attentats du 11 septembre 2001 sont « troublants », n’opposant à Tarpley que la seule force de son incrédulité. Plus problématique encore : LaTéléLibre.fr n’indique à aucun moment qui est vraiment Webster G. Tarpley, son sulfureux passé militant, les nombreuses autres thèses extravagantes qu’il soutient et les liens étroits qu’il cultive avec l’extrême droite américaine. Une consultation préalable de l’article que lui consacre Wikipédia aurait pourtant incité n’importe quel journaliste à la prudence. Hélas, sur le 11-Septembre, LaTéléLibre.fr semble davantage soucieuse de faire du buzz et de caresser son lectorat dans le sens du poil que d’informer scrupuleusement (lire : La Télé Libre intoxique à la vitesse de la chute libre, et La Télé Libre cautionne l’imposture de Harrit et Jones).
Webster Tarpley a aujourd’hui pignon sur rue. Chroniqueur régulier de la télévision Russia Today, ses ouvrages sont traduits en français, en allemand, en italien, en espagnol et même en japonais. Ce succès tardif est la moisson inespérée d’un quart de siècle de militantisme au sein de l’organisation politico-sectaire fondée par Lyndon LaRouche - un mouvement considéré comme « crypto-fasciste » par tous les politologues qui s’y sont intéressés (3). Tarpley s’y est hissé au plus haut niveau de responsabilité. Pour les besoins de la cause, il a été amené à y défendre les thèses les plus délirantes. De ce passé, il semble que Tarpley n’ait jamais rien renié.
Précoce, il fait déjà partie du comité de rédaction d’une revue larouchiste, The Campaigner, en 1971. Il a 25 ans. Dans les années qui suivent, il émarge au comité de rédaction de l’Executive Intelligence Review (EIR – autre publication larouchiste) (4). Il vit en Italie et en Allemagne avant d’être nommé, dans les années 1980, à la tête de l’Institut Schiller (5) de Washington. L’implication de Tarpley dans le mouvement est telle qu’elle a des répercussions jusque sur sa vie personnelle. Il a ainsi rencontré ses deux épouses successives au sein même de l’organisation larouchiste (6).
En 1997, après vingt-six ans de fidèles et loyaux services, Tarpley démissionne du comité exécutif européen de l’International Caucus of Labor Committees, une structure chargée de fédérer les mouvements larouchistes implantés un peu partout dans le monde. Webster Tarpley a donc quitté officiellement le mouvement larouchiste. Mais le mouvement larouchiste, lui, a-t-il vraiment quitté Tarpley ? Ce n’est pas l’avis de Dennis King, auteur de Lyndon Larouche and the New American Fascism, pour qui « Tarpley est ce que l’on pourrait appeler un larouchiste sans LaRouche ». Son parcours ces quinze dernières années témoigne en effet d’une remarquable continuité avec sa carrière antérieure. Pêle-mêle, Webster Tarpley a dit et écrit que les attentats de la gare d’Atocha (Madrid) en 2004 et de Londres du 7 juillet 2005 étaient en réalité des « opérations sous faux pavillon » fomentées par l’OTAN ; que Karl Marx était un agent du Foreign Office britannique (7) ; que la thèse d’une origine anthropique du réchauffement climatique était une « escroquerie » (8) ; que le commandant Massoud a été éliminé par la CIA (9) et que Ben Laden est une marionnette entre les mains de la même CIA. Tarpley a prophétisé, pour l’été 2007, une attaque des Etats-Unis au moyen d’armes de destruction massive, le tout commandité par le vice-président Dick Cheney en personne (10). Interrogé sur Lyndon LaRouche, Tarpley perpétue la fable selon laquelle son ancien mentor aurait été la victime d’un emprisonnement politique (11). En réalité, LaRouche a bien été emprisonné (de 1988 à 1994) mais en rien pour des motifs politiques : il a été jugé et condamné pour avoir abusé de la confiance de pauvres gens et pour fraude fiscale.
L’éditeur de Tarpley, Progressive Press, est une petite maison d’édition californienne spécialisée dans la dénonciation du « Nouvel Ordre Mondial ». Elle diffuse des livres antisémites comme ceux de Henry Makow, Des Griffin ou Matthias Chang. Son catalogue propose également plusieurs livres larouchistes comme Dope Inc. (édité par l’EIR) ou Seeds of Destruction de William Engdahl (dont la version française, OGM : semences de destruction, a été préfacée par José Bové).
Webster Tarpley se présente volontiers comme un « historien ». Ce qu’il n’est pas. A moins de qualifier ainsi un individu qui n’a pas le moindre diplôme universitaire dans cette discipline et se borne à synthétiser des sources de seconde main pour réécrire l’histoire. Il n’a rien non plus d’un « journaliste » professionnel classique (12) et l’on se demande s’il a un jour écrit pour d’autres journaux que ceux de Lyndon LaRouche. Qu’à cela ne tienne, Tarpley est devenue en quelques années l’une des personnalités clés du 9/11 Truth Movement. En mai-juin 2005, il participe au 9/11 Truth Tour aux côtés de Christopher Bollyn, du journal d’extrême droite American Free Press (Lire : Kassovitz élude les sources très embarrassantes de Loose Change). Financée par le millionnaire américain Jimmy Walter (13), cette tournée européenne est destinée à faire la promotion des thèses complotistes sur le 11-Septembre à travers toute l’Europe. C’est tout naturellement que Tarpley est invité, à l’automne 2005, à intervenir lors de la conférence Axis for Peace organisée par Thierry Meyssan à Bruxelles (14) et sponsorisée par American Free Press. Tarpley y retrouve ses anciens camarades Helga Zepp-LaRouche (l’épouse du gourou) et Jacques Cheminade, l’homme-lige de LaRouche en France.
Webster Tarpley soutient, dans le droit fil de son ancien mentor, « que les événements du 11-Septembre ont été organisés et dirigés par un réseau voyou de hautes personnalités du gouvernement et de l’armée des Etats-Unis avec la complicité des services secrets britanniques et israéliens et le soutien des services secrets d’autres Etats membres du réseau Echelon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et le Canada ». On retrouve dans la bibliographie de La Terreur fabriquée : made in USA les noms d’à peu près tous les auteurs conspirationnistes qui ont écrit sur le 11-Septembre : Thierry Meyssan, Pierre-Henri Bunel, Michel Chossudovsky, David Ray Griffin, Jim Marrs, Andreas Von Bülow, Mathias Bröckers, Gerhard Wisnewski et même… David Icke ! Cet ancien footballer anglais est le grand théoricien du « complot reptilien ». Selon lui, le monde serait gouverné par une race de lézards extra-terrestres ayant pris forme humaine et n’étant pas sans rapport avec « une petite clique de juifs » (sic) ayant provoqué la Seconde Guerre mondiale (Icke professe que les Protocoles des Sages de Sion sont authentiques).
Tarpley assume également tous ses écrits du temps où il travaillait pour le compte de LaRouche. L’ouvrage qu’il a co-rédigé sur George Bush père (George Bush: The Unauthorized Biography) avec Anton Chaitkin (l’assistant de LaRouche) a été diffusé en 1992 par l’EIR. Il a été réédité en 2004 par Progressive Press (15). En 2008, Tarpley revient à la charge avec Barack Obama: The Unauthorized Biography et Barack Obama: The Post Modern Coup, toujours paru chez Progressive Press. Il y traite l’actuel résident de la Maison Blanche de « cynique opportuniste » et de « social-fasciste ». Marié à une « idéologue fasciste post-moderne » (sic), Obama aurait été recruté et endoctriné par Zbigniew Brzezinski, co-fondateur de la Commission Trilatérale et du Council on Foreign Relations (CFR). Dressant ce portrait tout en nuances, Tarpley croit devoir ajouter que, selon ses sources, le président américain serait homosexuel…
Autre exemple d’élucubrations encore disponibles à ce jour sur le site personnel de Tarpley : ses écrits sur l’oligarchie vénitienne. Publiés en 1996 sous le titre « Against Oligarchy. Essays & Speeches », ces textes nous renseignent remarquablement sur la manière dont Tarpley se représente le monde et l’histoire. En 1981, The Campaigner, revue phare du mouvement larouchiste, publie un texte de Tarpley intitulé ni plus ni moins « La Conspiration vénitienne » (16). L’auteur y explique que le monde moderne est l’aboutissement d’un plan de domination conçu entre les années 1200 et 1600 par un groupe de banquiers et de francs-maçons vénitiens. Cette faction occulte aurait été à l’origine de la Réforme protestante et des Lumières. Elle aurait joué un rôle décisif dans la création de l’ordre des Jésuites. Son but ? Faire triompher les idées matérialistes, l’athéisme et l’utilitarisme, sources du Mal qui ronge notre époque selon la doxa larouchiste. Interprétant l’histoire du dernier millénaire à l’aune d’un conflit pluriséculaire entre « Platoniciens » et « Aristotéliciens » (un thème de prédilection de Lyndon LaRouche), Tarpley explique qu’après avoir régné pendant quatre siècles sur la finance internationale depuis la Cité des Doges, ces puissants oligarques se seraient établis, à l’orée du XVIIème siècle, sur les bords de la Tamise, formant le « Parti anglo-vénitien ». Composé de « libertins, de libre-penseurs et de satanistes » s’adonnant depuis des siècles à la magie noire, cette élite maléfique serait également derrière l’assassinat d’Henri IV. Ses héritiers ne seraient autres que Bertrand Russell, Zbigniew Brzezinski ou Henry Kissinger – que les larouchistes accusent depuis des décennies d’avoir mis au point un grand plan de réduction de la population mondiale en répandant le virus du sida (Lire : Le sida, la grippe aviaire, Henry Kissinger et la Torah).
Dans son entreprise de réécriture de l’histoire, Tarpley n’hésite pas à faire de Galilée un « agent d’influence du Parti vénitien » dont le procès aurait été en réalité « l’une des opérations les plus réussies de relations publiques de tous les temps ». Idem pour Voltaire : « les historiens français, écrit Tarplay, ne sont pas à l’aise avec l’idée que le plus célèbre des Français a été un agent vénitien, mais la démonstration est indiscutable ». Isaac Newton est sans conteste celui à qui Tarpley réserve l’essentiel de ses philippiques : un « excentrique sectaire et sénile », un « irrationaliste invétéré », « une personnalité méfiante, paranoïaque et instable », un « charlatan » qui n’aurait jamais rien découvert et qui, Tarpley prend soin de le préciser, aurait secrètement étudié la Kabbale juive… Montaigne, Malebranche, Fontenelle, Montesquieu, Rousseau, les Encyclopédistes mais aussi John Locke, Francis Bacon et Thomas Hobbes seraient tous, de près ou de loin, liés à la grande « conspiration vénitienne ».
Dans un texte ultérieur, Tarpley reprend à son compte la dénonciation très larouchiste d’une grande conspiration qui lierait les Juifs et les homosexuels, accusés de vouloir subvertir la société américaine : « Les oligarques vénitiens sont devenus homosexuels à cause de leur manie obsessionnelle de conserver la fortu
ne de leur famille intacte en ayant la garantie qu’ils n’auraient qu’un seul héritier ». « A cette époque, continue Tarpley, plus des deux tiers des hommes de la noblesse et même un pourcentage élevé de femmes nobles, n’étaient pas mariés. Nous avons ici les racines du Homintern moderne de Henry Kissinger. La principale tâche de Casanova était d’atteindre le roi Louis XV à travers son appétit sexuel » (17).
Le fameux Homintern évoqué par Tarpley est un terme formé à partir du préfixe « homo- » de « homosexuel » et du mot Komintern (qui désigne la Troisième Internationale ou Internationale communiste). L’expression apparaît dans les publications larouchistes à partir des années 1980, à travers une série de caricatures dans lesquelles des personnalités juives new-yorkaises sont montrées vêtues de toges, s’adonnant à une orgie romaine sponsorisée par le maire Ed Koch, l’« Empereur de Homohattan » (autre jeu de mot sinistre formé à partir de « Manhattan »). Déjà, dans les années 1970, les larouchistes publiaient des diatribes enflammées contre « la politique de tapettes » (« faggot politics ») des activistes homosexuels « pro-sionistes » (18). Il est vrai que LaRouche n’a jamais fait mystère de son aversion pour l’homosexualité. Pour le politologue Chip Berlet, le passage de Tarpley est limpide : en utilisant le mot Homintern, l’auteur suggère l’existence d’une fantasmatique « Internationale homosexuelle » instrumentalisée par les Juifs (en l’espèce, Henry Kissinger), comme l’aurait été, selon les théories du complot traditionnelles de l’extrême droite, l’Internationale communiste de jadis (19).
C’est très logiquement que de nombreux textes de Tarpley sont repris sur des sites antisémites et négationnistes. Tarpley s’en accommode très bien. Pourquoi ce familier d’émissions de radio d’extrême droite verrait-il d’un mauvais oeil ses amis faire la promotion de ses thèses ? En effet, Tarpley intervient fréquemment aux micros d’Alex Jones et de John Stadtmiller (20). Au début du mois de juin 2010, il était une nouvelle fois l’invité de l’émission de Jeff Rense, un ami de longue date, qui met en ligne les articles de Tarpley sur son site depuis des années. Le site de Rense, outre qu’il s’intéresse de près aux extra-terrestres, propose aussi sur sa page d’accueil la version intégrale des Protocoles des Sages de Sion ainsi que de nombreux autres textes au contenu sans équivoque.
Notes :
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