ReOpen911 décide de revoir son jugement sur Wikileaks...
C'est une histoire d'amour qui a mal tourné. Tout avait pourtant bien commencé. Depuis sa création, le site Wikileaks (« leaks » pour « fuites ») publie des documents sensibles, voire classés secret défense, qui lui valent l'ire des autorités américaines. Appliquant le vieux principe selon lequel l’ennemi de mon ennemi est mon ami, l'association ReOpen911, qui représente la branche française du « Mouvement pour la Vérité sur le 11-Septembre », avait décidé de parrainer symboliquement le site fondé par Julian Assange en aposant sur sa page d'accueil le logo de Wikileaks.
Or, Julian Assange a fait savoir il y a quelques mois qu’il ne partageait pas les lubbies conspirationnistes du 9/11 Truth Movement. Par ailleurs, les derniers documents rendus publics par Wikileaks, The Afghan War Diary, ne corroborent en rien les thèses complotistes. Et puis, ceux qui croient dur comme fer que les attentats du 11 septembre 2001 ont été ourdis par un groupe de néoconservateurs depuis Washington ne comprennent tout simplement pas pourquoi Wikileaks n’a encore publié aucun document relatif au Grand Complot. Aux yeux des partisans de la théorie du complot, un tel silence, neuf ans après les attentats de 2001, est illogique. Illogique donc suspect. Très vite, l’idée que Wikileaks puisse être manipulé par les services secrets occidentaux apparaît comme le seul moyen de surmonter l’aporie.
Le 16 août, ReOpen911 s’interroge ouvertement :
« Le désormais fameux site d’information Wikileaks serait-il manipulé par les services secrets pour divulguer de soi-disant informations classifiées, s’appuyant sur la notoriété acquise depuis quelques années avec la révélation de nombreux "scoops" et documents classés "top secret" ? La question se pose, et notre association qui a choisi de sponsoriser ce site se doit de tenter d’y répondre ».
La poussée de fièvre paranoïaque est suivie par la reproduction d’un texte de William Engdahl, un ancien « analyste » de l’organisation de Lyndon LaRouche, mis en ligne sur les sites conspirationnistes de Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca), d’Alex Jones (InfoWars.com), et d’Alain Soral (Égalité & Réconciliation).
Selon Engdhal, « les preuves suggèrent que, loin d’être honnête, la fuite [de Wikileaks] consiste en une désinformation calculée au profit des services de renseignements des États-Unis, et peut-être ceux d’Israël et de l’Inde, et qu’elle camoufle le rôle des États-Unis et de l’Occident dans le trafic de drogues en provenance d’Afghanistan ». Une thèse inspirée par les écrits de Wayne Madsen qui, s’appuyant sur « des sources en Asie », expliquait dès le mois de mars que la CIA, la banque Rothschild, Goldman-Sachs, le Mossad et le milliardaire George Soros étaient impliqués dans une vaste entreprise de manipulation visant le site Wikileaks.
Madsen fait partie de la grande famille des plumitifs conspirationnistes. Très apprécié du Réseau Voltaire, le personnage a successivement « révélé » – liste non exhaustive – que les attaques du 11 septembre 2001 étaient « le résultat d’une opération secrète [destinée à] provoquer un coup d’État fasciste » aux Etats-Unis, que « Dick Cheney [avait] ordonné l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri », ou encore que « la grippe A [était] le fruit d'une manipulation génétique humaine » mise au point dans le seul but d'accroître les profits de l'industrie pharmaceutique.
Tous les professionnels de la théorie du complot se sont évidemment rués dans la brèche ouverte par Wayne Madsen. Ainsi, deux jours après la publication des documents Wikileaks, Madsen est invité à venir s’exprimer sur le sujet au micro de son ami Alex Jones. La vidéo est très vite reprise (et assortie de sous-titres en français) sur le site d’extrême droite Egalité & Réconciliation. On retrouve d’ailleurs le texte originellement publié par Wayne Madsen (“CIA, Mossad and Soros behind Wikileaks”) sur un site islamiste, ou sur Pakistan Daily, un site pakistanais en langue anglaise où se mêlent allègrement complotisme et antisémitisme (1).
Le même jour, le site de Thierry Meyssan publie un communiqué intitulé « Wikileaks : une diversion politique » où est affirmé que « tout laisse à penser que [les] fuites ont été organisées par un clan de l’appareil US pour imposer ses vues simultanément au limogeage du général McChrystal par le président Obama. Et le fait que ce dernier ait stoppé toute enquête interne visant à identifier l’origine des fuites montre que celle-ci lui est connue, qu’il ne souhaite pas l’affronter ou qu’il l’approuve ».
Sans surprise, la chaîne de télévision Russia Today, lieu de rencontre d’à peu près tous les pseudo-analystes qui voyent la main du Mossad et de la CIA derrière tous les événements mondiaux, apporte sa contribution à la « Wikileaks Conspiracy » en offrant à Alex Jones une tribune à ses élucubrations.
L’auteur conspirationniste Webster Tarpley passe ensuite dans l’émission d’Alex Jones avant de monologuer quasiment sans interruption pendant une heure dans l’émission de Bonnie Faulkner, « Guns and Butter » sur la radio KPFA – une sorte de version californienne de l’émission de Daniel Mermet, « Là-bas, si j’y suis ». Tarpley tente de démontrer que le fondateur de Wikileaks est un agent à la solde de la CIA qui aurait savamment orchestré toutes ces fuites afin de diaboliser le Pakistan. Au passage, il fait de Daniel Ellsberg, le journaliste à l’origine de la révélation des Pentagon Papers, une taupe ayant lui aussi travaillé pour la CIA…
On le voit, la contre-attaque médiatique des réseaux conspirationnistes relève d’une mécanique bien huilée. Mais comment expliquer sa mise en branle soudaine au lendemain du 25 juillet 2010 ? Pourquoi Julian Assange, qui passait jusque-là pour l’homme que la CIA voulait faire taire, est-il devenu en quelques jours l’homme à abattre pour tous les propagandistes de la théorie du complot « américano-sioniste » ?
C’est simple. Les documents secrets dévoilés par Wikileaks présentent un inconvénient facheux pour les conspirationnistes. Ils jettent une lumière crue sur le soutien qu’apporte en sous-main l’ancien chef des services secrets pakistanais Hamid Gul, à Al-Qaïda et aux Talibans. Or, Gul est l’une des « sources » des conspirationnistes. Cela fait des années qu’il accuse la CIA et le Mossad d’avoir fomentés les attentats du 11-Septembre ainsi que ceux de Bombay, en 2008. Enfin, si la compromission du général Gul avec les djihadistes est un secret de polichinelle connu de tous les spécialistes (2), il est indispensable, pour les conspirationnistes, d’en contester la réalité. Car comment pourrait-il y avoir collusion entre Gul et Al-Qaïda dès lors que, selon eux, Al-Qaïda n’existe pas ?
Notes :
(1) A titre d'exemples, un petit tour dans le moteur de recherche du Pakistan Daily permet de constater qu’il publie un article accusant le Mossad d’être derrière les attentats de Bombay ; un autre sur « les Juifs qui dirigent le Congrès » (sic) ou encore un texte du journaliste d’extrême droite américain Christopher Bollyn intitulé “ Israel Did 9-11 ” [« Israël a fait le 11-Septembre »].
(2) Lire Jeff Stein, “ The audacity of Hamid Gul ”, The Washington Post, 26 juillet 2010. Rappelons qu’Hamid Gul est soupçonné d’être impliqué dans la conception des attentats du 11-Septembre.
Voir aussi :
ReOpen911 décide de revoir son jugement sur Wikileaks...
C'est une histoire d'amour qui a mal tourné. Tout avait pourtant bien commencé. Depuis sa création, le site Wikileaks (« leaks » pour « fuites ») publie des documents sensibles, voire classés secret défense, qui lui valent l'ire des autorités américaines. Appliquant le vieux principe selon lequel l’ennemi de mon ennemi est mon ami, l'association ReOpen911, qui représente la branche française du « Mouvement pour la Vérité sur le 11-Septembre », avait décidé de parrainer symboliquement le site fondé par Julian Assange en aposant sur sa page d'accueil le logo de Wikileaks.
Or, Julian Assange a fait savoir il y a quelques mois qu’il ne partageait pas les lubbies conspirationnistes du 9/11 Truth Movement. Par ailleurs, les derniers documents rendus publics par Wikileaks, The Afghan War Diary, ne corroborent en rien les thèses complotistes. Et puis, ceux qui croient dur comme fer que les attentats du 11 septembre 2001 ont été ourdis par un groupe de néoconservateurs depuis Washington ne comprennent tout simplement pas pourquoi Wikileaks n’a encore publié aucun document relatif au Grand Complot. Aux yeux des partisans de la théorie du complot, un tel silence, neuf ans après les attentats de 2001, est illogique. Illogique donc suspect. Très vite, l’idée que Wikileaks puisse être manipulé par les services secrets occidentaux apparaît comme le seul moyen de surmonter l’aporie.
Le 16 août, ReOpen911 s’interroge ouvertement :
« Le désormais fameux site d’information Wikileaks serait-il manipulé par les services secrets pour divulguer de soi-disant informations classifiées, s’appuyant sur la notoriété acquise depuis quelques années avec la révélation de nombreux "scoops" et documents classés "top secret" ? La question se pose, et notre association qui a choisi de sponsoriser ce site se doit de tenter d’y répondre ».
La poussée de fièvre paranoïaque est suivie par la reproduction d’un texte de William Engdahl, un ancien « analyste » de l’organisation de Lyndon LaRouche, mis en ligne sur les sites conspirationnistes de Michel Chossudovsky (Mondialisation.ca), d’Alex Jones (InfoWars.com), et d’Alain Soral (Égalité & Réconciliation).
Selon Engdhal, « les preuves suggèrent que, loin d’être honnête, la fuite [de Wikileaks] consiste en une désinformation calculée au profit des services de renseignements des États-Unis, et peut-être ceux d’Israël et de l’Inde, et qu’elle camoufle le rôle des États-Unis et de l’Occident dans le trafic de drogues en provenance d’Afghanistan ». Une thèse inspirée par les écrits de Wayne Madsen qui, s’appuyant sur « des sources en Asie », expliquait dès le mois de mars que la CIA, la banque Rothschild, Goldman-Sachs, le Mossad et le milliardaire George Soros étaient impliqués dans une vaste entreprise de manipulation visant le site Wikileaks.
Madsen fait partie de la grande famille des plumitifs conspirationnistes. Très apprécié du Réseau Voltaire, le personnage a successivement « révélé » – liste non exhaustive – que les attaques du 11 septembre 2001 étaient « le résultat d’une opération secrète [destinée à] provoquer un coup d’État fasciste » aux Etats-Unis, que « Dick Cheney [avait] ordonné l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri », ou encore que « la grippe A [était] le fruit d'une manipulation génétique humaine » mise au point dans le seul but d'accroître les profits de l'industrie pharmaceutique.
Tous les professionnels de la théorie du complot se sont évidemment rués dans la brèche ouverte par Wayne Madsen. Ainsi, deux jours après la publication des documents Wikileaks, Madsen est invité à venir s’exprimer sur le sujet au micro de son ami Alex Jones. La vidéo est très vite reprise (et assortie de sous-titres en français) sur le site d’extrême droite Egalité & Réconciliation. On retrouve d’ailleurs le texte originellement publié par Wayne Madsen (“CIA, Mossad and Soros behind Wikileaks”) sur un site islamiste, ou sur Pakistan Daily, un site pakistanais en langue anglaise où se mêlent allègrement complotisme et antisémitisme (1).
Le même jour, le site de Thierry Meyssan publie un communiqué intitulé « Wikileaks : une diversion politique » où est affirmé que « tout laisse à penser que [les] fuites ont été organisées par un clan de l’appareil US pour imposer ses vues simultanément au limogeage du général McChrystal par le président Obama. Et le fait que ce dernier ait stoppé toute enquête interne visant à identifier l’origine des fuites montre que celle-ci lui est connue, qu’il ne souhaite pas l’affronter ou qu’il l’approuve ».
Sans surprise, la chaîne de télévision Russia Today, lieu de rencontre d’à peu près tous les pseudo-analystes qui voyent la main du Mossad et de la CIA derrière tous les événements mondiaux, apporte sa contribution à la « Wikileaks Conspiracy » en offrant à Alex Jones une tribune à ses élucubrations.
L’auteur conspirationniste Webster Tarpley passe ensuite dans l’émission d’Alex Jones avant de monologuer quasiment sans interruption pendant une heure dans l’émission de Bonnie Faulkner, « Guns and Butter » sur la radio KPFA – une sorte de version californienne de l’émission de Daniel Mermet, « Là-bas, si j’y suis ». Tarpley tente de démontrer que le fondateur de Wikileaks est un agent à la solde de la CIA qui aurait savamment orchestré toutes ces fuites afin de diaboliser le Pakistan. Au passage, il fait de Daniel Ellsberg, le journaliste à l’origine de la révélation des Pentagon Papers, une taupe ayant lui aussi travaillé pour la CIA…
On le voit, la contre-attaque médiatique des réseaux conspirationnistes relève d’une mécanique bien huilée. Mais comment expliquer sa mise en branle soudaine au lendemain du 25 juillet 2010 ? Pourquoi Julian Assange, qui passait jusque-là pour l’homme que la CIA voulait faire taire, est-il devenu en quelques jours l’homme à abattre pour tous les propagandistes de la théorie du complot « américano-sioniste » ?
C’est simple. Les documents secrets dévoilés par Wikileaks présentent un inconvénient facheux pour les conspirationnistes. Ils jettent une lumière crue sur le soutien qu’apporte en sous-main l’ancien chef des services secrets pakistanais Hamid Gul, à Al-Qaïda et aux Talibans. Or, Gul est l’une des « sources » des conspirationnistes. Cela fait des années qu’il accuse la CIA et le Mossad d’avoir fomentés les attentats du 11-Septembre ainsi que ceux de Bombay, en 2008. Enfin, si la compromission du général Gul avec les djihadistes est un secret de polichinelle connu de tous les spécialistes (2), il est indispensable, pour les conspirationnistes, d’en contester la réalité. Car comment pourrait-il y avoir collusion entre Gul et Al-Qaïda dès lors que, selon eux, Al-Qaïda n’existe pas ?
Notes :
(1) A titre d'exemples, un petit tour dans le moteur de recherche du Pakistan Daily permet de constater qu’il publie un article accusant le Mossad d’être derrière les attentats de Bombay ; un autre sur « les Juifs qui dirigent le Congrès » (sic) ou encore un texte du journaliste d’extrême droite américain Christopher Bollyn intitulé “ Israel Did 9-11 ” [« Israël a fait le 11-Septembre »].
(2) Lire Jeff Stein, “ The audacity of Hamid Gul ”, The Washington Post, 26 juillet 2010. Rappelons qu’Hamid Gul est soupçonné d’être impliqué dans la conception des attentats du 11-Septembre.
Voir aussi :
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