Sur Carpentras, l’illustre grand-père de Marion Maréchal-Le Pen et un certain Maître Gilbert Collard – déjà – n’ont pas été les derniers à emboucher la trompette du conspirationnisme...
« Le plus grand symbole d’une Le Pen élue à Carpentras, c’est certainement la revanche sur sans doute la plus grande et la plus abjecte manipulation socialiste et mitterrandienne », peut-on lire en date du 19 juin 2012 sur le site "anti-islamisation" Riposte laïque. Elue dans la 3e circonscription du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen l’a dit à plusieurs reprises tout au long de la campagne : si elle a voulu se présenter ici, dans cette circonscription qui contient le canton de Carpentras-Sud, c’est pour « réhabiliter » son grand-père. « L'outrage infligé à Jean-Marie est nettoyé, explique-t-elle. Justice est faite ! ».
Théâtre de la profanation de son cimetière juif en mai 1990, la ville de Carpentras symbolise, dans l’imaginaire frontiste, la sournoise manipulation dont le parti de Jean-Marie Le Pen aurait été victime. Depuis plus de vingt ans, le FN n’a de cesse de dénoncer dans l’affaire de Carpentras une « machination politicienne » devenue un véritable serpent de mer de la blogosphère d’extrême droite. Qu’en est-il réellement ?
Le 10 mai 1990, on découvre que 34 tombes du cimetière israélite de Carpentras ont été profanées. Le corps de Félix Germon, enterré quelques jours plus tôt, a été exhumé. Affublé d’une étoile de David arrachée à une sépulture voisine, le cadavre aurait fait l’objet d’une tentative d’empalement. Arrivé sur les lieux le jour-même, le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, déclare : « Lorsque les criminels sont connus, on doit les dénoncer. Nous les connaissons. Je dénonce donc le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance. Et je pense que tout le monde en France ressentira comme nous chagrin et pitié ». « Vous dites que vous les connaissez, qui sont-ils ? » demande un journaliste. « Je les ai nommés » répond le ministre sur le ton de l’évidence.
Les soupçons se portent spontanément sur l’extrême droite. La veille au soir, le 9 mai, Jean-Marie Le Pen est passé à la télévision dans l’émission L’Heure de vérité. Il y suggère que les Juifs ont trop de pouvoir dans la presse, « comme les Bretons dans la Marine ou les Corses dans les douanes ». Beaucoup ont encore à l’esprit les multiples saillies antisémites du leader frontiste. Pierre Joxe déclarera par la suite que Le Pen est, « comme tous ceux qui expriment leur antisémitisme de façon explicite depuis des dizaines d'années, (...) un des responsables, non pas des actes de Carpentras, mais de tout ce qui a été inspiré par la haine raciste ».
Dès le 11 mai, le président du FN organise une conférence de presse en forme de contre-attaque, insinuant que le crime profite surtout… aux "socialo-communistes" :
« Moi je pense qu’il faut tout de même chercher soit du côté des communistes qui semblent être les maîtres d’œuvre de toute cette opération. (…) Mais, ce pourrait être aussi des mouvements subversifs islamiques dont on sait qu’ils ne portent pas spécialement dans leur cœur les juifs ».
Dans les jours qui suivent, National-Hebdo, le journal du parti lepéniste, désignera tour à tour la main du KGB puis celle d’une organisation terroriste palestinienne. Jean-Marie Le Pen évoque la possibilité d’une mise en scène du Sac, le service d’action civique, pourtant dissous huit ans plus tôt, mais aussi et surtout celle d’une manipulation de Pierre Joxe en personne qui se serait « arrangé pour que tous les indices qui existaient soient détruits le premier jour ». Jamais Le Pen ou son parti ne prêteront le moindre crédit à la piste de l’extrême droite. Pour eux, Carpentras n’est que l’étape d’un vaste « complot qui vise à bâillonner le FN », point.
En septembre 1995, une émission de télévision vient contribuer au brouillage des pistes. Dans "Témoin numéro un" (TF1), l'animateur Jacques Pradel présente comme crédible une rumeur accusant des « fils de notables » d’être les auteurs de la profanation du cimetière. La « jeunesse dorée » de Carpentras, aux mœurs dissolues, aurait pour habitude d’y organiser des « parties fines », comme veut le croire le cousin de Félix Germon.
C’est là qu’intervient Me Gilbert Collard : agitant devant les caméras une enveloppe en kraft contenant soi-disant les noms des coupables présumés, l’avocat de la veuve de Félix Germon insiste sur l’innocence du FN, dénonçant un « mensonge d’Etat ». Et Jean-Marie Le Pen de défiler, le 11 novembre 1995, à Carpentras, pour y exiger des excuses. Un tract du FN est distribué. « La profanation, y lit-on, était le fait d’adolescents de Carpentras en proie à la drogue ». Les négationnistes de La Vieille Taupe diffusent au même moment un autocollant intitulé « Carpentras patatras ! ».
Nous savons aujourd’hui que les auteurs de la profanation du cimetière juif de Carpentras n’étaient ni des drogués ni des nantis. Ils n’appartenaient pas non plus au gouvernement, au Sac, au KGB ou à une organisation terroriste palestinienne. Condamnés en 1997, les auteurs de la profanation du cimetière, s'ils n'appartenaient pas au FN, étaient bien des petits nervis d’extrême droite, des skinheads mus par « le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance ». Comme l’avait déclaré Pierre Joxe.
La persistance du mythe
Pourtant le mythe du complot anti-lepéniste continue de faire son chemin, proliférant sur l’ambiguïté consistant, d’une part, à accuser François Mitterrand d’avoir instrumentalisé l’affaire contre le FN afin d’empêcher la droite de passer des alliances avec lui ; d’autre part, à suggérer que la profanation du cimetière elle-même serait un « coup montée ».
C’est sans surprise qu’on lit, dans le livre d’Alain Soral, Contre l’Empire, publié en 2011, que le président du Front national « se montrera si bon » lors de son « fameux passage » à l’émission "L’Heure de vérité" « qu’il faudra ensuite faire suivre ce coup de pouce d'un puissant coup d'arrêt, par la profanation de Carpentras... ».
Quant à l’ancien directeur des RG, Yves Bertrand, il soutient dans son livre d’entretien avec Eric Branca, Je ne sais rien... mais je dirai (presque) tout (éd. Plon, 2007), que l’affaire de Carpentras fut l’occasion pour François Mitterrand de mettre à exécution « son plan » visant à « diaboliser le Front national ». Les responsables, affirme-t-il, « venaient bien d’une extrême droite ultra-radicale, mais en aucun cas du Front national. Même si l’on déteste Le Pen, on n’avait pas le droit de lui faire porter le chapeau d’un acte aussi ignoble que la profanation de Carpentras ».
Le 14 mai 1990, lors d’une grande manifestation contre le racisme regroupant près de 200 000 personnes à Paris, une effigie de Jean-Marie Le Pen, flanqué d’une inscription « Carpentras, c’est moi », avait été brûlée. Ne pouvant sonder les reins et les cœurs, on ignore ce qu’il entra de sincérité et de calcul politique dans la décision de François Mitterrand de se mêler au cortège des manifestants. Toutefois, en laissant entendre que l’« instrumentalisation » de l’affaire de Carpentras correspond à la « phase B » du « piège » concocté par le président de la République, Yves Bertrand, dont le tropisme conspirationniste s’est manifesté dans d’autres affaires (assassinat de Yann Piat, explosion de l’usine AZF de Toulouse), ne laisse-t-il pas entendre que la profanation du cimetière elle-même est entachée de zones d’ombres ? Ne prend-t-il pas soin de préciser que l’un des cinq néo-nazis ayant participé à la macabre équipée est « décédé dans un accident de moto en 1993, suite à une collision avec une voiture dont le conducteur, peu après, a lui aussi été retrouvé mort noyé dans le Rhône ». « Comment expliquez-vous cela ? » lui demande Eric Branca. « Je ne me l’explique pas, répond Bertrand. Mais je peux vous dire que si j’avais appris les faits en 1993, j’aurais diligenté une enquête… »
Voir aussi :
« Le plus grand symbole d’une Le Pen élue à Carpentras, c’est certainement la revanche sur sans doute la plus grande et la plus abjecte manipulation socialiste et mitterrandienne », peut-on lire en date du 19 juin 2012 sur le site "anti-islamisation" Riposte laïque. Elue dans la 3e circonscription du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen l’a dit à plusieurs reprises tout au long de la campagne : si elle a voulu se présenter ici, dans cette circonscription qui contient le canton de Carpentras-Sud, c’est pour « réhabiliter » son grand-père. « L'outrage infligé à Jean-Marie est nettoyé, explique-t-elle. Justice est faite ! ».
Théâtre de la profanation de son cimetière juif en mai 1990, la ville de Carpentras symbolise, dans l’imaginaire frontiste, la sournoise manipulation dont le parti de Jean-Marie Le Pen aurait été victime. Depuis plus de vingt ans, le FN n’a de cesse de dénoncer dans l’affaire de Carpentras une « machination politicienne » devenue un véritable serpent de mer de la blogosphère d’extrême droite. Qu’en est-il réellement ?
Le 10 mai 1990, on découvre que 34 tombes du cimetière israélite de Carpentras ont été profanées. Le corps de Félix Germon, enterré quelques jours plus tôt, a été exhumé. Affublé d’une étoile de David arrachée à une sépulture voisine, le cadavre aurait fait l’objet d’une tentative d’empalement. Arrivé sur les lieux le jour-même, le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, déclare : « Lorsque les criminels sont connus, on doit les dénoncer. Nous les connaissons. Je dénonce donc le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance. Et je pense que tout le monde en France ressentira comme nous chagrin et pitié ». « Vous dites que vous les connaissez, qui sont-ils ? » demande un journaliste. « Je les ai nommés » répond le ministre sur le ton de l’évidence.
Les soupçons se portent spontanément sur l’extrême droite. La veille au soir, le 9 mai, Jean-Marie Le Pen est passé à la télévision dans l’émission L’Heure de vérité. Il y suggère que les Juifs ont trop de pouvoir dans la presse, « comme les Bretons dans la Marine ou les Corses dans les douanes ». Beaucoup ont encore à l’esprit les multiples saillies antisémites du leader frontiste. Pierre Joxe déclarera par la suite que Le Pen est, « comme tous ceux qui expriment leur antisémitisme de façon explicite depuis des dizaines d'années, (...) un des responsables, non pas des actes de Carpentras, mais de tout ce qui a été inspiré par la haine raciste ».
Dès le 11 mai, le président du FN organise une conférence de presse en forme de contre-attaque, insinuant que le crime profite surtout… aux "socialo-communistes" :
« Moi je pense qu’il faut tout de même chercher soit du côté des communistes qui semblent être les maîtres d’œuvre de toute cette opération. (…) Mais, ce pourrait être aussi des mouvements subversifs islamiques dont on sait qu’ils ne portent pas spécialement dans leur cœur les juifs ».
Dans les jours qui suivent, National-Hebdo, le journal du parti lepéniste, désignera tour à tour la main du KGB puis celle d’une organisation terroriste palestinienne. Jean-Marie Le Pen évoque la possibilité d’une mise en scène du Sac, le service d’action civique, pourtant dissous huit ans plus tôt, mais aussi et surtout celle d’une manipulation de Pierre Joxe en personne qui se serait « arrangé pour que tous les indices qui existaient soient détruits le premier jour ». Jamais Le Pen ou son parti ne prêteront le moindre crédit à la piste de l’extrême droite. Pour eux, Carpentras n’est que l’étape d’un vaste « complot qui vise à bâillonner le FN », point.
En septembre 1995, une émission de télévision vient contribuer au brouillage des pistes. Dans "Témoin numéro un" (TF1), l'animateur Jacques Pradel présente comme crédible une rumeur accusant des « fils de notables » d’être les auteurs de la profanation du cimetière. La « jeunesse dorée » de Carpentras, aux mœurs dissolues, aurait pour habitude d’y organiser des « parties fines », comme veut le croire le cousin de Félix Germon.
C’est là qu’intervient Me Gilbert Collard : agitant devant les caméras une enveloppe en kraft contenant soi-disant les noms des coupables présumés, l’avocat de la veuve de Félix Germon insiste sur l’innocence du FN, dénonçant un « mensonge d’Etat ». Et Jean-Marie Le Pen de défiler, le 11 novembre 1995, à Carpentras, pour y exiger des excuses. Un tract du FN est distribué. « La profanation, y lit-on, était le fait d’adolescents de Carpentras en proie à la drogue ». Les négationnistes de La Vieille Taupe diffusent au même moment un autocollant intitulé « Carpentras patatras ! ».
Nous savons aujourd’hui que les auteurs de la profanation du cimetière juif de Carpentras n’étaient ni des drogués ni des nantis. Ils n’appartenaient pas non plus au gouvernement, au Sac, au KGB ou à une organisation terroriste palestinienne. Condamnés en 1997, les auteurs de la profanation du cimetière, s'ils n'appartenaient pas au FN, étaient bien des petits nervis d’extrême droite, des skinheads mus par « le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance ». Comme l’avait déclaré Pierre Joxe.
La persistance du mythe
Pourtant le mythe du complot anti-lepéniste continue de faire son chemin, proliférant sur l’ambiguïté consistant, d’une part, à accuser François Mitterrand d’avoir instrumentalisé l’affaire contre le FN afin d’empêcher la droite de passer des alliances avec lui ; d’autre part, à suggérer que la profanation du cimetière elle-même serait un « coup montée ».
C’est sans surprise qu’on lit, dans le livre d’Alain Soral, Contre l’Empire, publié en 2011, que le président du Front national « se montrera si bon » lors de son « fameux passage » à l’émission "L’Heure de vérité" « qu’il faudra ensuite faire suivre ce coup de pouce d'un puissant coup d'arrêt, par la profanation de Carpentras... ».
Quant à l’ancien directeur des RG, Yves Bertrand, il soutient dans son livre d’entretien avec Eric Branca, Je ne sais rien... mais je dirai (presque) tout (éd. Plon, 2007), que l’affaire de Carpentras fut l’occasion pour François Mitterrand de mettre à exécution « son plan » visant à « diaboliser le Front national ». Les responsables, affirme-t-il, « venaient bien d’une extrême droite ultra-radicale, mais en aucun cas du Front national. Même si l’on déteste Le Pen, on n’avait pas le droit de lui faire porter le chapeau d’un acte aussi ignoble que la profanation de Carpentras ».
Le 14 mai 1990, lors d’une grande manifestation contre le racisme regroupant près de 200 000 personnes à Paris, une effigie de Jean-Marie Le Pen, flanqué d’une inscription « Carpentras, c’est moi », avait été brûlée. Ne pouvant sonder les reins et les cœurs, on ignore ce qu’il entra de sincérité et de calcul politique dans la décision de François Mitterrand de se mêler au cortège des manifestants. Toutefois, en laissant entendre que l’« instrumentalisation » de l’affaire de Carpentras correspond à la « phase B » du « piège » concocté par le président de la République, Yves Bertrand, dont le tropisme conspirationniste s’est manifesté dans d’autres affaires (assassinat de Yann Piat, explosion de l’usine AZF de Toulouse), ne laisse-t-il pas entendre que la profanation du cimetière elle-même est entachée de zones d’ombres ? Ne prend-t-il pas soin de préciser que l’un des cinq néo-nazis ayant participé à la macabre équipée est « décédé dans un accident de moto en 1993, suite à une collision avec une voiture dont le conducteur, peu après, a lui aussi été retrouvé mort noyé dans le Rhône ». « Comment expliquez-vous cela ? » lui demande Eric Branca. « Je ne me l’explique pas, répond Bertrand. Mais je peux vous dire que si j’avais appris les faits en 1993, j’aurais diligenté une enquête… »
Voir aussi :
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