J’ai tenu à faire précéder ce dossier d’un court édito en forme de mea culpa a priori : je sais pertinemment qu’écrire sur les conspirationnistes ne fait que les renforcer dans leurs convictions que nous, journalistes en particulier, les manipulons en vue d’un grand dessein dont nous serions l’obéissante cheville ouvrière. C’est faux, mais je ne les en convaincrai naturellement pas.
Cet édito, j’aurais pu l’écrire pour ce blog, sur lequel j’ai donc décidé de le publier. Le voici :
Caroline Fourest connaît bien les conspirationnistes. Elle traque, décortique, dénonce régulièrement les dangers de leurs délires paranoïaques, que l’on aurait tort de réduire à la folie douce des adorateurs de l’ovni de Roswell et ses extraterrestres, prétendument escamotés par l’armée américaine dans les années 1940. Car les conspirationnistes connaissent bien Caroline Fourest : son travail, voire sa vie sont surveillés sans répit et sans faille. Le moindre de ses écrits, la moindre de ses conférences, chacune de ses interventions publiques sont « passés au scanner » – et gare à l’approximation, à l’erreur anodine, qui, sous ces projecteurs, se retournent immédiatement contre elle ! D’autres, journalistes, historiens, sociologues, philosophes ou simples citoyens, Pierre-André Taguieff, Gérald Bronner, Rudy Reichstadt… eux aussi engagés dans la lutte contre l’industrie du fantasme permanent, subissent le même traitement.
Car la machine conspirationniste est experte en matière de harcèlement et fait preuve d’une puissance redoutable, décuplée – comme on l’a vu après les attentats de Paris ou, plus récemment, la chute de l’A320 de la GermanWings – par Internet. S’y répand, à une vitesse inédite, un virus aussi contagieux que résistant : le soupçon. Généralisé, il est la défaite des clercs, que l’on ne croit plus et que, pire encore, on associe désormais aux élites et que l’on rejette avec elles. Il menace aussi les journalistes, et le dossier que consacre L’Express, cette semaine, au complotisme, en est le symptôme paradoxal. Non seulement il ne convaincra pas les sceptiques, mais il les confortera dans leur croyance que nous, qui faisons profession de révéler la « réalité des faits », leur cachons tout et ne leur disons plus rien, que nous prenons activement part au complot. Pourquoi, dès lors, publier cette enquête ? Parce que c’est notre travail et que nos lecteurs ne sont pas tous conspirationnistes, tant s’en faut. Aussi parce que ce combat pour la vérité est un vrai défi démocratique, et que ce combat, c’est le nôtre.
Source : Blog d'Eric Mettout, rédacteur en chef de L'Express.
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